Une paire d’années après une entrée remarquée dans le giron du rock en France, le trio parisien Radio Elvis retente le « all-in » sur le tapis vert de la pop. Avec un style et une attitude dignes de jouvenceaux britanniques, mais biberonnés à l’histoire de la chanson française, ils passent haut la main l’essai du second album.
Radio Elvis © Nicolas Despis
J’ai une sympathie un peu irrationnelle pour Radio Elvis. Déjà – et surtout – parce que je trouve qu’il y a chez Pierre Guénard, Manu Ralambo et Colin Russeil une apparente (fausse) naïveté enfantine dans leur manière d’aborder le rock. Ou alors il y a un coup de Renard rusé dans cette façon de faire le casse du versant pop du rock en français, s’en appropriant les codes, comme des grands ados arrogants, mais avec toujours l’air d’agir par omission, camouflés sous des gueules d’anges à qui on donnerait le bon dieu sans confession.
Je n’ai pas écouté une note de ce nouveau disque que j’aime déjà la manière dont, sans avoir l’air d’y toucher, ils cultivent à nouveau une image de beaux gosses du rock (nous? Mais naaaaaan je t’assure) façon pub de fringues Sandro, en voyage à la fin des seventies : un peu beaucoup poètes, un peu beaucoup torturés, un peu éthérés. Un style, une allure. Et, on dira ce qu’on veut, le style et l’allure, de Bowie à Doherty ça a toujours été une des composantes du rock qui fonctionne. Ça a toujours enrichi l’imaginaire musical et fabriqué la légende des groupes. Mais je crois que c’était déjà le disclaimer que je mettais sur la critique de Les conquêtes, leur premier album. Je vieillis, je me répète.
Passons à l’essentiel, l’écoute de ces garçons là. La prise de la bastille rock continue. Le deuxième album est pourtant un exercice difficile. Trop différent du premier: le critique est inquiet de l’avenir créatif du groupe. Trop similaire: le chroniqueur parle de panne d’inspiration. Entre les deux options, un petit sentier. Affirmer les mélodies, conforter une stylistique, démontrer l’ebria créative. C’est ce mince chemin des douaniers qu’emprunte, avec succès, le trio.
Radio Elvis conserve le côté soniquement ramassé de Les conquêtes. Power trio et basta. Tout doit être jouable en l’état, sur scène. Tout ou presque… En perdant quelques fioritures d’arrangements, mais en les limitant dès l’enregistrement, le travail de scène est grandement facilité. A peine un peu de réverbe, une guitare qui prend souvent le rôle de la basse sur l’impulsion du mouvement et un clavier qui assure la rythmique en duo avec la batterie, pour élargir le cahier de charge initial. Sinon chant, double grattes, batterie, comme sur le premier essai. On est en terrain connu, et pourtant le son est un peu différent.
https://youtu.be/kL2rJjcVuSY
J’ai vu Colin en concert improvisé pour TV5MONDE, marteler un rythme d’une main et pianoter de l’autre. Exercice impossible ici. Le piano prend SA place. Le clavier fait sa grande entrée dans le son de Radio Elvis et va très souvent jusqu’à jouer les premiers rôles. Visiblement le groupe s’est amusé à tourner autour de cet instrument pour enrichir le son et donner à la faconde mélodique de Radio Elvis un nouveau terrain de jeu musical. Il y a beaucoup de claviers sur ce nouvel essai. A la place de la guitare dans le trio, il oblige à adoucir un peu l’énergie contenue dans l’album. Belle réussite dans l’élargissement de la palette et de la typologie de sons disponibles pour construire une pop song.
Mélodiquement, on comprend aussi qu’il s’agit d’un second disque. Les mélodies sont plus carrées. Elles partent directement à l’essentiel. A la fois plus pop et plus immédiatement fredonnables. 23 minutes, fini fini fini et l’éponyme ces garçons là me semblent promis à une belle carrière en streaming et en radio. Directes et un peu plus andouilles aussi. Pop. Moins « intellos » dans la perception, puisque c’est le mot qui me semblait le plus souvent accolé au premier album. Entre ces quelques hameçons jetés à la hype, le groupe distille néanmoins des plages bruitistes en prolongation du premier essai et des pistes mélancoliques où le piano, nouveau venu, fait aussi mouche. Bouquet d’immortelles est à ce titre la plus jolie réussite, même si c’est sans doute ce qui nous fume et son jeu homonymique qui passera à la postérité.
https://youtu.be/kVEJk5Fi05U
Enfin il y a l’écriture de Pierre. On a tous beaucoup glosé que sa poésie hermétique convenait bien à la pop en France et, moi avec la meute, on a tous dit combien on y voyait, dans la prestance mélancolique, des similitudes avec la méthode Bashung. Quelque part entre l’écriture semi automatique et le symbolisme hermétique de Mallarmé. Une comparaison qui, à la réflexion, était un peu fainéante, portée par une structure vocale et une méthode francophones où on ne rencontre guère de Bashung, Belin et Murat. Des trois, la critique musicale a choisi le regretté rockeur.
Je ne sais pas si ça a fini par saouler Pierre…. Mais il semble avoir contraint sa plume à plus de narration intelligible sans passage systématique par l’onirisme, à plus d’évidence; mais aussi à chanter dans un registre plus enlevé, plus haut. Et ce même si, on ne se refait pas, les morceaux les plus beaux en terme d’écriture sont aussi ceux qui ne se donnent pas à la première écoute, ceux qui cèdent largement à l’interprétation entre les lignes de mots aux phrases non signifiantes.
Musique qui s’assoit sur ses bases stylistiques, mais se découvre une capacité à élargir son son sans perdre la saveur de la première rencontre, écriture moins hermétique, mélodies pop, chant en français, attitude et look stylés comme jamais. Moi je continue d’apprécier. Hé mais… Et si Radio Elvis venait de réussir à faucher un des derniers magots de la pop en France millésime 2018? En dire plus serait gâcher.
Denis Verloes
Radio Elvis – Ces garçons là
Label : [PIAS] Le Label
Date de sortie : octobre 2018