Sneaky Pete, assez brillante série « d’arnaque » chez Amazon Prime, a un peu du mal à trouver son public, malgré ses qualités… Faisons le point !
En 1972, l’Arnaque (de George Roy Hill, avec Robert Redford et Paul Newman, quand même…) explosa sur les écrans du monde entier. Premier film de « con-men » (comme disent les Américains), premier film avec twists, bref une sorte de prémonition du film hollywoodien de divertissement du XXIème siècle. Une forme de divertissement malin qui ravit le public… et qui fait que, pas loin d’un demi-siècle plus tard, il est difficile de cacher notre plaisir devant Sneaky Pete, dont la première saison nous proposait une relecture – double, qui plus est – de la fameuse arnaque originelle. Co-produite par Bryan Cranston, qui s’attribua dans la première saison un rôle délectable d’ordure sadique, Sneaky Pete a forcément des échos de Breaking Bad, en particulier dans cette vision désabusée, mais assez drôle, d’une société américaine profondément corrompue par la cupidité, où peu de rapports humains résistent à la lâcheté, aux mensonges et à l’hypocrisie… Sans même mentionner le plaisir vaguement régressif de la revanche des plus malins sur les plus forts, envers et contre toute logique, et surtout contre l’adversité qui s’acharne à contrecarrer les stratagèmes les plus élaborés…
Un an plus tard, on a un peu digéré les qualités – intelligence, rapidité, excitation – et les défauts – une complexité exagérée des intrigues et un brouillage des pistes régulièrement irritant – de Sneaky Pete, qui nous revient avec une nouvelle aventure sous pression de notre « con man », certes capable de jouer impromptu n’importe quel rôle, mais sur lequel s’accumule une quantité invraisemblable d’ennuis et de menaces (dont certaines mortelles…).
L’intrigue a démarré dans les dernières minutes du dernier épisode de la première saison, et est donc par de nombreux aspects l’extension directe de celle-ci : c’est cette fois la famille adoptive de Marius qui est toute entière menacée, entre une enquête de police qui se rapproche de la patriarche, un tueur à gages déterminé à venger son père, et des truands « native american » à la brutalité décomplexée. Tandis que Marius se débat entre les griffes d’un Monténégrin psychopathe et adorant l’usage de l’acide, et qu’il espère escroquer de la bagatelle de 11 millions de $, c’est le passé bien caché de la famille qui ressurgit et ébranle le château de cartes que Marcus a patiemment construit.
Bref, l’intrigue est une fois de plus proliférante, et après un démarrage malheureusement un peu fastidieux durant les 3 premiers épisodes, Sneaky Pete nous offre d’incroyables montagnes russes culminant – comme c’est la règle du genre – dans un final (sur les trois derniers épisodes) littéralement tétanisant. Les coups de théâtre à répétition et les retournements de situation permanents pourraient certes s’avérer fatigants, si le rythme de la mise en scène et l’abattage des comédiens – avec un bémol quant au jeu lunaire de Giovanni Ribisi, sorte de Droopy dont on a parfois du mal à saisir le supposé brio – ne nous embarquait généreusement. En dévoilant – assez étonnamment en fait – le « truc » derrière un célèbre tour de prestidigitation, Sneaky Pete fait certes écho au succès discutable de Insaisissables, mais c’est surtout au Neuf Reines argentin que le dévoilement de la manipulation fait référence.
Reste que le vrai triomphe de cette seconde saison, c’est de relativiser immédiatement dans un anti-climax dépressif le « triomphe de l’intelligence » : aussi brillant soit-il, Marius ne peut rien contre les sentiments les plus « animaux » – haine, jalousie, soif de vengeance – et surtout les plus irrationnels, qui finissent par primer. La victoire de l’esprit (ou de la raison…) est éphémère, et la noirceur du monde s’est encore rapprochée. Gageons que la troisième saison creusera de nouveau ce sillon, et ajoutera encore de la profondeur à cette série, qui ne se limite plus à de simples « mind games », aussi sophistiqués soient-ils…
Eric Debarnot
Sneaky Pete
Série américaine de David Shore et Bryan Cranston
Avec Giovanni Ribisi, Marin Ireland, Shane McRae, Peter Gerety, Margo Martindale
2 saisons – 20 épisodes de 50 min environ
Mise en ligne de la seconde saison : 9 mars 2018 – Amazon Prime