Razorlight a investi la scène du Bataclan ce 2 février 2019 pour un set généreux, et même exceptionnel par moment, prouvant que la nouvelle formule de groupe fonctionne à merveille.
Cette résurrection de Razorlight, dix ans plus tard, on n’y croyait plus après déjà une fausse alerte – une réapparition du groupe il y a quelques années, qui n’avait rien donné. Et honnêtement, ça ne nous empêchait pas de dormir. « Let bygones be bygones », non ? Razorlight ne fut jamais vraiment génial, seulement un groupe de plus qui nous fut proche, et qui fit partie de la bande originale de nos vies de 2006 à 2008. Sinon, la bonne surprise vint du nouvel album, très plaisant avec son mélange improbable de sonorités british new wave et de lyrisme springsteenien (la petite marotte de Johnny Borrell)… et du coup on pouvait se pointer au Bataclan ce samedi sans trop se taper la honte.
Le problème ce soir est plutôt de parvenir à la salle : gilets jaunes obligent, une grande partie de Paris est fermée au trafic, et le métro lui-même venait seulement de rouvrir dans le quartier de la République. Le Bataclan est donc quasi vide quand j’y pénètre…
… juste quelques minutes avant le début du set, à 19h20, de Bigger, un groupe que son chanteur nous présente en français impeccable, avec une pointe d’accent, comme venant de « Dublin… et un peu de Franche-Comté » : eh oui, c’est plutôt une plaisanterie, Bigger revendique ses origines franc-comtoise, d’où ce petit accent traînant si joli… Bon, musicalement, Bigger, c’est vraiment accrocheur : une rythmique puissante, des hooks mélodiques faciles à mémoriser, une musique plutôt sombre mais avec une coloration soul (les Irlandais ont en effet toujours excellé dans ce registre d’intensité émotionnelle…), et un chanteur à l’énergie réjouissante. C’est malin, c’est frais – sans trop de références pour une fois – ça sait être dur et énervé quand il faut. Le public, malheureusement encore trop peu nombreux (le billet annonçait un démarrage à 20 h !), frappe dans les mains et chante même quand c’est facile. Le dernier titre, Circus, s’avère même assez extraordinaire, et confirme que Bigger est un groupe à suivre… 35 minutes excellentes, qui nous rappelle que, en 2019, le Rock sait encore être enthousiaste et fougueux, comme au premier jour, et que la France est – enfin – un pays où bouillonne le talent musical.
20h10 : On ne commentera pas longuement la prestation solo du dénommé Jérémy Kapone, qui en vingt minutes réussit à massacrer un blues traditionnel (Tell Me), une chanson de Dylan (The Man in Me) et une chanson de Neil Young, et pas n’importe laquelle, mais Hey Hey My My, qu’il dédiera non sans pertinence aux victimes du 13 novembre… Jérémy a une jolie gueule, une voix passable, et paraît aussi sympathique que sincère : il semble qu’il soit aussi acteur, peut-être doit-on lui suggérer, avec tout le respect qu’il mérite, de persévérer plutôt dans l’art dramatique…
21h00 : On garde un très bon souvenir de Björn Agren et d’Andy Burrows, qui nous paraissaient à l’époque être aussi essentiels à la musique de Razorlight que son leader, le brillant – et tête à claques – Johnny Borrell, ce qui fait qu’on n’est pas forcément très bien disposés vis-à-vis des nouveaux musiciens qui les remplacent… Pourtant, il ne nous faudra qu’une paire de chansons pour que David, le batteur passablement furieux, Harry, à la basse, et David, le guitariste placé juste devant moi qui a la lourde responsabilité de succéder à Björn, nous convainquent complètement : les deux classiques du groupe, Rip It Up et In the Morning, nous sont envoyés comme un véritable uppercut dans l’estomac, sur un tempo accéléré qui les transforme en véritables brûlots, pleins de rage et d’urgence… C’est clairement un nouveau groupe que ce Razorlight 2019, qui s’apparente plus à un gang de punk rockers qu’à autre chose. Ce radicalisme brut est certes surprenant, mais, bon dieu, qu’est-ce que c’est bon à une époque où le Rock se complaît souvent dans des ambiances atmosphériques ! Mais le plus important, c’est évidemment Johnny Borrell, vers lequel tous les regards sont tournés : les dix ans passés ont logiquement marqué notre ex-jeune dieu vivant – curieusement attifé dans une combinaison peu seyante -, mais son énergie et sa voix restent inchangées, immédiatement convaincantes… et levant tous nos doutes.
Keep the Right Profile n’est pas une chanson très connue de la grande époque du groupe, mais c’est une incroyable déflagration dans le Bataclan, qui s’embrase comme s’il était plein – ce qui est loin d’être le cas… Oui, Razorlight est bien désormais un vrai groupe de Rock, et ne prête plus le flanc aux critiques faciles, comme à l’époque, quand les puristes le qualifiaient de groupe pour midinettes, surtout préoccupé d’atteindre les meilleures places dans les charts. Brighton Pier et Midsummer Girl sont les deux premiers extraits de “Olympus Sleeping”, le nouvel album, et font franchement bonne figure au milieu des anciennes. Golden Touch, que je considère personnellement comme l’une des dix meilleures chansons des années 2000, pose un véritable dilemme : si l’on apprécie le rythme frénétique appliqué aux anciens morceaux, on ne peut nier que l’émotion qui s’en dégageait est laminée par le traitement rock… Mais, je crois qu’on est tous tellement heureux de l’entendre à nouveau sur scène, on la chante tous tellement dans notre tête, qu’on peut vivre avec : d’ailleurs, Johnny nous la laisse terminer tous seuls, nous n’avons même pas besoin de Razorlight pour être au paradis ce soir !
I can’t Stop this Feeling I’ve Got débute comme une véritable tuerie, au point que je me demande si Razorlight était aussi bon que ça, “à sa grande époque” ? D’un seul coup, la guitare de Johnny défaille, et arrive ce qui normalement est le pire cauchemar d’un groupe, le problème technique que l’équipe n’arrive pas à identifier et à résoudre ! Personnellement, j’ai toujours trouvé que c’est ce genre de situation qui permet de distinguer les “bons” des “mauvais”, et là, le nouveau Johnny Borrel, et le nouveau Razorlight passent le test haut la main : en attendant la résolution du problème, le groupe improvise, Johnny fait chanter la foule, tout le monde reste souriant et décontracté, et à la fin, les techniciens seront dûment remerciés pour leur travail. Donc, les leçons à en tirer sont claires : à près de 39 ans – et dieu sait qu’il ne les fait pas ! – Johnny Borrell n’est plus du tout un “petit con prétentieux”, mais au contraire un artiste chaleureux et sympathique, et ses musiciens forment bien un véritable groupe qui sait s’amuser et se comporter sur scène. In the City est une chanson qui m’a toujours rappelé ce que le Boss faisait à l’époque de “The Wild, the Innocent and the E. Street Shuffle”, et si c’était de ma part un peu un reproche, ce n’en est plus un ce soir : la performance scénique de Borrell est époustouflante, et le concert connaît là son apothéose.
A partir de là, j’ai le sentiment que le concert plafonne un peu. Est-ce l’énergie du groupe qui s’épuise un peu, ou au contraire, nous, dans le public, qui sommes déjà contentés ? On retiendra néanmoins un Stumble and Fall efficace et une conclusion poignante avec Wire to Wire, seul morceau sauvé de l’époque “Slipway Fires”. Par contre, le classique Los Angeles Waltz n’atteindra pas ce soir les sommets d’émotion qui sont restés en mémoire. A noter que Johnny s’adresse à nous à plusieurs reprises dans un français impeccable et quasi sans accent, même s’il cherche un peu ses mots, ce qui est toujours une marque de respect louable vis-à-vis du public…
Un rappel de Razorlight, c’est beaucoup plus qu’un simple rappel, en fait, mais plutôt un petit set supplémentaire de 20 minutes, consacré principalement à “Olympus Sleeping”, et conclu par l’inévitable America, qu’il dédiera aux “fucking Fox News and Trump”… ce qui caresse la foule parisienne dans le sens du poil, même si l’on aurait plutôt aimé l’entendre sur le sujet brûlant du Brexit !
Une heure et demi d’un set généreux, exceptionnel même dans sa première partie, qui prouve que Razorlight dispose quand même d’un song book qui réussit à transcender son époque, et surtout que la nouvelle configuration du groupe de Johnny Borrell lève toutes les ambiguïtés, et pourrait constituer la formule gagnante… si seulement cette musique était encore pertinente pour la jeunesse de 2019, ce qui est loin d’être certain…
Texte et photos : Eric Debarnot
Les musiciens de Bigger sur scène :
Kevin Twomey – vocals, guitar
Ben Muller – keyboards
Antoine Passard – drums
Mike Prenat – bass
Damien Félix – guitar
Les musiciens de Razorlight sur scène :
Johnny Borrell – vocals, guitar
David Sullivan Kaplan – drums
David Ellis – guitar
Harry Deacon – bass
??? – keyboards
La setlist du concert de Razorlight :
Rip It Up (Up All Night – 2004)
In the Morning (Razorlight – 2006)
Keep the Right Profile (Razorlight bonus track – 2006))
Brighton Pier (Olympus Sleeping – 2018)
Midsummer Girl (Olympus Sleeping – 2018)
Golden Touch (Up All Night – 2004)
I Can’t Stop This Feeling I’ve Got (Razorlight – 2006)
Japanrock (Olympus Sleeping – 2018)
In the City (Up All Night – 2004)
Before I Fall to Pieces (Razorlight – 2006)
Who Needs Love ? (Razorlight – 2006)
Razorchild (Olympus Sleeping – 2018)
Stumble and Fall (Up All Night – 2004)
Vice (Up All Night – 2004)
Los Angeles Waltz (Razorlight – 2006)
Olympus Sleeping (Olympus Sleeping – 2018)
Wire to Wire (Slipway Fires – 2008)
Encore:
Got to Let the Good Times Back into Your Life (Olympus Sleeping – 2018)
Carry Yourself (Olympus Sleeping – 2018)
Somewhere Else (Up All Night – 2004)
Sorry? (Olympus Sleeping – 2018)
Hold On (Razorlight – 2006)
America (Razorlight – 2006)
Je commenterai tranquillement sur ma page facebook, vos remarques judicieuses, plus vos énormités pour ce qui est de l’histoire du groupe, plus vos propos tantôt fielleux et tantôt élogieux, tout ça en ce qui concerne Razorlight. No comment sur les deux premières parties
Bonjour Dominique ! Nous savons tous que notre relation, souvent très émotionnelle et passionnée, avec la musique, nous pousse à des jugements qui sont – et c’est heureux – très subjectifs…. et donc différents d’une personne à l’autre. A te lire, je vois que tu as vécu ce concert de manière différente de moi, même si nous étions – peut-être – côte à côte lors de ce très beau moment que nous a offert Razorlight ? J’aurais préféré lire tes commentaires ici plutôt qu’aller les pêcher sur FB, mais chacun fait comme il veut, bien entendu. J’objecte néanmoins à ton qualificatif de « fielleux » – mis à part peut-être la prestation de Kapone, mais là, c’était vraiment trop insupportable, à une certaine époque, il aurait été chassé de scène à coup de canettes ! Pour le reste, le fait de critiquer un ou deux aspects de ce que font des gens que par ailleurs on aime n’a rien à voir avec du « fiel »… ;)