A l’occasion de la rétrospective Alberto Lattuada que nous offre la Cinémathèque française, voici l’occasion de parler d’un film qui fit scandale en son temps.
Il n’y a pas de scène ensoleillée dans ce film. Alberto Lattuada nous place d’emblée dans un récit automnal qui sera rythmé par la brume, la pluie et la grêle. Cela commence dans un parc aux airs abandonnées. Les teintes sont mordorées, l’humidité semble envahir l’espace. Giulio, son appareil photo en main, cherche une sculpture de la Diane chasseresse. C’est en quelque sorte un jardin d’Eden où nous ne rencontrerons que trois personnages : le jardinier et les deux futurs amants.
D’abord cachée derrière sa flamboyante chevelure, le visage de Francesca apparaît aux yeux de Giulio. Elle a eu le malheur de répondre à sa question C’est le début d’une passion dont les évènements singuliers s’enchaîneront très vite, ne laissant qu’à l’amant le temps de découvrir ses limites qui ne seront pas tant physiques que psychiques. Lui-même n’est-il pas déjà d’un autre temps ? C’est du moins ce qui apparaît lorsqu’il échange avec tous ceux qui l’entourent : son ami, sa femme, sa fille. Chacun lui dit à sa manière, sans pour autant le juger, qu’il doit faire un choix. Un choix qu’il ne fera bien sûr pas, comme tout homme empierré dans ses doutes et sa lâcheté. Ce choix, par contre, Francesca le fait tout de suite. Elle avoue d’emblée son désir pour Giulio qui de son côté serait presque tenté de le nier ou de le fuir. En observant Giulio conduire, elle lui dit d’ailleurs que ce sont ces mains, elles-mêmes, qui ont envie de la toucher, pas son esprit. On voit également que tout au long du film, Giulio ne saura que faire de ses mains, la pudeur naturelle du jeu de Mastroianni y apportant toute sa subtilité.
En fait, le film procède avant tout par ellipses car il s’agit de deux personnages qui ne sont pas en paix avec leur temps et c’est le plus souvent la disparition de l’un ou l’autre des personnages principaux qui clôture chaque scène. Giulio ne veut pas admettre qu’il vieillit. Francesca (Nastassja Kinski dans un de ses premiers rôles) fait preuve d’assurance et d’impétuosité et explose de jeunesse dans chaque plan. Elle est déjà une créature que Lattuada filme d’emblée comme telle. Ce qui ne peut évidemment que gêner le spectateur puisque le réalisateur nous met directement en face de sujets tabous qu’il nous propose de considérer comme moralement obsolètes : le détournement de mineure (l’actrice Nastassja Kinski n’a que 17 ans au moment de la sortie du film), l’inceste (le personnage masculin ne sait pas si son amante est sa fille), l’adultère (avec le portrait d’une femme délaissée qui met à mal la figure du mariage comme consécration). Sans oublier « l’autre » fille biologique de Giulio, née de ce mariage, qui estime que la moralité ne saurait guider les actes de la vie, en particulier parce qu’elle décide de garder un enfant qu’elle élèvera seule, mais aussi parce qu’elle est incapable de juger les comportements de son père, alors qu’il lui demanderait presque de le faire.
https://youtu.be/elBpKQF8gjY
Dès le début du film, tout s’enchaîne très vite. Giulio parcourt au hasard des photos d’enfance en noir et blanc où l’on voit une petite fille en train de jouer, seule. On imagine alors qu’il regarde les photos d’enfance de sa fille (qui par ailleurs est un des personnages du film) mais il n’en est rien. On comprend en fait, dans un mouvement de caméra qui mène jusqu’au corps nu de Francesca, que Giulio vient de passer la nuit avec elle. Le processus de possession est enclenché. Celui-ci sera irréversible.
Pour leur amour naissant, qui s’embrase comme une flambée de bois sec, il faut aller vite, avant que tout ne brûle et ne soit réduit en cendres. Francesca sent la fin venir assez rapidement, dès qu’apparaissent les premiers doutes de Giulio. Elle voudrait que tout s’arrête au sommet de leur passion, avoir le courage de sa mère qui, vingt ans auparavant, rompt avec son amant en disparaissant d’une séance de cinéma à laquelle ils assistaient tous deux. Mais chacune de leurs rencontres est plus intense à chaque fois et Francesca ne peut véritablement savoir quel sera leur ultime moment. Giulio ne sait pas s’il doit se livrer à Francesca (ce serait peut-être la fin). Il le fait finalement auprès de son ami, de sa femme, de sa fille. Mais il est déjà trop tard car les conditions sont bientôt réunies pour que la vérité soit dite. C’est d’ailleurs au moment où ils réalisent enfin tous deux qu’ils sont peut-être père et fille que Lattuada décide de les filmer pour la première fois en train de s’embrasser.
Ce qui est remarquable dans ce film, c’est que tout est montré sans débordements. Il n’y a pas de dérives passionnelles. Nous sommes dans unes espèce d’automne continuel. Là ou d’autres cinéastes auraient privilégié l’embrasement printanier ou le feu passionné de l’été caniculaire, Lattuada préfère nous montrer le crépuscule d’une idylle. Pour ce qui est des ténèbres à venir, c’est à nous de les imaginer et il est évident que le désespoir y jouera un rôle important.
Dionys Décrevel
La Fille (Così come sei)
Film italien réalisé par Alberto Lattuada
Durée : 105 minutes
Date de sortie : 1978