Jeudi 7 février 2019, au Zénith, un Ghost toujours aussi spectaculaire a offert au public parisien plus de deux heures et demi de « classic rock » généreux et inspiré.
Ghost ? Qu’est-ce que je peux être en train de faire ce soir à attendre Ghost dans un Zénith archi-rempli de familles excitées par la sortie de l’année et de fans de metal, qui ont visiblement fait la queue dans le froid de février une bonne partie de l’après-midi pour être bien placés devant la scène ? Qui plus est, pour assister à un spectacle frôlant le grand guignol plutôt qu’à un concert donné par un groupe important ou simplement prometteur… ? Eh bien moi aussi, j’ai été séduit par “Prequelle”, le quatrième album de ce groupe suédois assez atypique – reprenant les codes du doom metal pour mieux les trahir grâce à une musique populaire et réjouissante -, un album que la critique s’accorde à considérer comme le meilleur à date de Ghost… Une musique qui m’a vaguement rappelé le Heavy Metal très Rock, mélodique, presque pop, et pourtant spectaculaire du Blue Öyster Cult de mon adolescence… Bah, on verra bien, l’important à ce stade est d’avoir assuré le premier rang, la stabilité de la balustrade, même si c’est tout à l’extrême gauche de la scène…
Il n’est pas encore 19h30 que le doom metal suédois (… justement…) de Candlemass commence à déferler sur un Zénith déjà bien rempli. Je dis déferler pour respecter les clichés du genre, mais cette musique lente, morne, sans puissance ni imagination a plutôt tendance à stagner mollement au-dessus de nos têtes. Ni rythme, ni structure, nous voilà soumis à une longue punition de 45 minutes : les morceaux s’enchaînent sans susciter le moindre intérêt. Nos Suédois sont clairement sympathiques et compétents, mais ils n’ont rien à dire, et n’ont même pas (même plus ?) l’énergie pour le dire de toute manière. Apparemment ils rament depuis 1984, ils doivent être fatigués : en tout cas, on sent une musique littéralement à bout de souffle.
20h45 : Annoncé par des chants lugubres – le folklore religieux / satanique de Ghost, qui serait ridicule s’il n’était à la fois spectaculaire et ironique -, le groupe apparaît : tous les musiciens – sauf Tobias – sont vêtus de la même façon, en noir et portant une redingote noire à queue de pie, leur visage – leur tête entière en fait – dissimulée par un masque de démon argenté. N’oublions pas que le principe de Ghost est l’effacement des musiciens derrière leurs personnages, un anonymat total qui, ma foi, doit être bien pratique en cas de départ d’un membre du groupe… Tobias lui-même me surprend par sa petite taille et sa minceur, et j’ai même le sentiment d’une tête trop grosse pour son corps… avant de réaliser que c’est aussi l’effet du saisissant masque de latex qu’il porte : ce visage figé, dont les lèves bougent à peine quand Tobias chante ou nous parle – ce qu’il fera de plus en plus abondamment au fur et à mesure que le show avance – évoque un aristocrate du XIXème siècle, sensiblement plus âgé que Tobias, sensation accentuée par les diverses redingotes arborées ce soir. Du véritable Tobias, on ne devine que les yeux, abondamment maquillés de noir et eux aussi dissimulés derrière des lentilles colorées. L’effet est garanti, le spectacle consiste surtout en une succession de poses que prennent tour à tour les huit musiciens – oui, huit, puisque nous avons Tobias, cinq “goules” anonymes et deux “lionnes” elles aussi anonymes derrière les claviers… Il y aura peu d’effets spéciaux – deux canons à confetti à la fin, et un ultime mini-feu d’artifices – et le décor est assez simple – un fronton de cathédrale au fond de la scène : pas de guillotine ni de poulets décapités comme chez Alice Cooper de la belle époque, pas de monstres en latex ou en carton-pâte comme chez Gwar, nos Suédois se consacrent finalement plus à la musique que je l’espérais même !
Le set a été lancé à fond la caisse par l’excellent Rats, qui ouvre aussi le dernier album, mais notre excitation est malheureusement bridée par un son insuffisamment fort, et surtout sans relief et sans nuances. Cela s’améliorera assez vite, mais on restera quand même en-deçà du son que l’on espère pour un concert de rock dur. On a néanmoins droit à trois guitares en permanence, ce qui ne peut que ravir les fans comme moi d’un déluge d’électricité, et les guitaristes, plus démonstratifs que Tobias, qui adopte des poses théâtrales assez figées, viennent constamment faire le show le plus près possible de nous au premier rang : c’est finalement un régal, car Ghost combine intelligemment un look spectaculaire avec de l’humour et, oui, de la gentillesse, de la part des musiciens qui, malgré leurs masques sataniques, cherchent plutôt la communication et le plaisir des spectateurs. Je dois dire que pour moi, qui ai toujours été assez hostile aux fariboles apocalyptiques ou horrifiques des groupes de metal, ce second degré est un soulagement, et me permet de me laisser aller totalement au plaisir du spectacle.
Tobias change régulièrement de costume, et quand il quitte la scène, c’est le rôle des musiciens de nous occuper : nous aurons droit ainsi à un duel de guitares, certes un peu longuet mais quand même très amusant, entre deux goules sur Devil Church. De même l’apparition du personnage de Papa Nihil avec son accoutrement papal et son saxophone en folie sur Miasma déclenche clairement l‘enthousiasme général… C’est néanmoins quand on entre dans la phase des chansons mid-tempo, voire des ballades, que Ghost décolle vraiment : loin d’avoir envie de se moquer de ce rituel feelgood, il faut bien admettre que c’est là que la musique acquiert une certaine grandeur, c’est sur ces chansons-là (Pro Memoria, Life Eternal), que tout le monde reprend en chœur, que la qualité pop des compositions triomphe et justifie finalement le succès désormais important du groupe. Bon, on chante tous d’un air convaincu des choses comme : « Can you hear me say your name forever? / Can you see me longing for you forever, forever? »… qui ne volent pas très haut, mais ne vous moquez pas de nous, on est aussi là pour ça, ce sentiment éphémère mais temporairement réconfortant de partager des émotions simples. J’imagine qu’on peut qualifier ça de “secret du Classic Rock”, non ?
21h50 : Surprise : entracte ! Un entracte de 15 minutes est annoncé ! Si les mauvaises langues diraient que c’est bien là la preuve que nous sommes au music-hall et non à un véritable concert de rock, cela signifie aussi que nous aurons droit ce soir à plus de deux bonnes heures de musique, soit quand même une générosité bien rare de nos jours où la majorité des sets n’atteignent même plus la marque de l’heure et demi !
22h05 : Le groupe revient, Tobias est maintenant vêtu de la tenue rouge et de la mitre d’un cardinal (le Cardinal Copia, donc ?), et la seconde partie du set va s’avérer plus musclée, plus agressive que la première. From the Pinnacle to the Pit et, plus tard, l’excellent Faith, constituent des exemples vraiment roboratifs de Heavy Metal que j’oserai qualifier de classique, qui fait dodeliner de la tête, et pour les plus puristes, tendre les doigts pour faire le signe du diable. Rien de mal à ça, tout le monde dans la salle s’amuse comme des fous : good clean rock’n’roll fun !
L’ami Tobias commence à se montrer de plus en plus expansif, ce qui est certes bien sympathique, mais ralentit le rythme du set… et ce d’autant que ses plaisanteries ne sont pas toujours du meilleur goût ! Avant de lancer l’excellent Mummy Dust, il nous épuise littéralement avec ses commentaires sur les fesses qui vont tressauter et les parties génitales qui vont être émoustillées. OK, Tobias, OK ! De la même manière, la présentation des musiciens pendant le If You Have Ghosts de Roky Erickson semble durer une éternité : et Tobias de nous expliquer que les deux lionnes derrière les claviers sont retenues par des chaînes pour ne pas sauter dans la foule nous dévorer dès le premier morceau, ce qui ferait quand même un « shit show », non ?
Je décide alors de terminer la soirée en plongeant au milieu du pit, de quitter la sécurité de ma barrière au premier rang pour mieux goûter de l’excitation générale du public. Dance Macabre et Square Hammer mettent le Zénith tout entier en joie, et terminent en apothéose souriante ce set que l’on ne peut que qualifier de généreux.
Mais les fans en demandent plus et Tobias revient, pour nous faire une autre de ses lourdes plaisanteries : nous avons le choix entre une dernière chanson jouée par Ghost ou bien sortir l’attendre bien sagement en faisant la queue dehors pour qu’il vienne nous baiser tous l’un après l’autre ! D’accord, Tobias, je ne sais pas à quoi tu carbure, mais il va falloir changer de came… Comme le public français le prend au mot et réclame la seconde alternative, le voilà forcé à rétropédaler. Il nous recommande donc d’écouter la dernière chanson (un Monstrance Clock efficace) et de rentrer chez nous to « fuck each other ».
Il est 23h35 quand la soirée s’achève, et clairement, Ghost nous en a offert pour notre argent. Si nous n’avons pas vu ce soir le futur du Rock, nous avons clairement pu pleinement profiter de son présent, sous forme d’un spectacle finalement assez joyeux et plaisant. Nous y reviendrons !
Texte et photos : Eric Debarnot
Les musiciens de Candlemass :
Leif Edling – bass
Mats « Mappe » Björkman – rhythm guitars
Johan Längqvist – vocals
Lars Johansson – lead guitars
Jan Lindh – drums
La setlist du concert de Candlemass :
Marche Funebre (Nightfall – 1987)
The Well of Souls (Nightfall – 1987)
Dark Reflections (Tales of Creation – 1989)
Astorolus – The Great Octopus (The Door to Doom – 2019)
Mirror Mirror (Ancient Dreams – 1988)
A Sorcerer’s Pledge (Epicus Doomicus Metallicus – 1986)
Solitude (Epicus Doomicus Metallicus – 1986)
Les musiciens de Ghost sur scène :
Cardinal Copia (Tobias Forge) – vocals
Nameless Ghoul – guitar
Nameless Ghoul – guitar
Nameless Ghoul – guitar
Nameless Ghoul – bass
Nameless Ghoul – drums
Nameless Lioness – keyboards
Nameless Lioness – keyboards
Papa Nihil – saxophone
La setlist du concert de Ghost :
Act 1:
Ashes (Prequelle – 2018)
Rats (Prequelle – 2018)
Absolution (Meliora – 2015)
Ritual (Opus Eponymous – 2010)
Con Clavi Con Dio (Opus Eponymous – 2010)
Per Aspera ad Inferi (Infestissumam – 2012)
Devil Church (Meliora – 2015)
Cirice (Meliora – 2015)
Miasma (Prequelle – 2018)
Jigolo Har Megiddo (Infestissumam – 2012)
Pro Memoria (Prequelle – 2018)
Witch Image (Prequelle – 2018)
Life Eternal (Prequelle – 2018)
Act 2:
Spirit (Meliora – 2015)
From the Pinnacle to the Pit (Meliora – 2015)
Majesty (Meliora – 2015)
Satan Prayer (Opus Eponymous – 2010)
Faith (Prequelle – 2018)
Year Zero (Infestissumam – 2012)
He Is (Meliora – 2015)
Mummy Dust (Meliora – 2015)
If You Have Ghosts (Roky Erickson cover)
Dance Macabre (Prequelle – 2018)
Square Hammer (Popestar EP – 2016)
Encore:
Monstrance Clock (Infestissumam – 2012)