Sunshine Rock est le titre improbable du nouvel album de Bob Mould, qui retrouve le goût de la vie, du bonheur et des chansons plus « pop » de sa période Sugar, sans pour autant rien oublier de sa rage et de sa furie électrique.
Credit Photo : Alicia J. Rose
1987 : l’un des groupes les plus formidablement novateurs, créatifs et fondamentalement influents des années 80, Hüsker Dü se sépare dans un silence assourdissant : la drogue, l’alcool et autres addictions ont eu raison de ce trio punk hardcore qui nous laisse quand même une poignée de chefs d’œuvre immortels, tels les albums Zen Arcade ou encore Warehouse : Songs and Stories.
1992 : Bob Mould, ex-guitariste de Hüsker Dü, forme un nouveau groupe, Sugar, qui lui permettra de hurler ses frustrations sur des mélodies pop, eh oui, jouées quand même sur fond de guitares sursaturées, et à un volume sonore interdit depuis. L’album Copper Blue et le terrifiant EP Beaster témoignent pour l’éternité de la splendeur de cette musique. Ceux d’entre nous qui se risquèrent au Bataclan le 16 juin 1993 en ressortirent sourds, et ravis ou épouvantés, selon les cas, par ce concert infernal, rempli d’une haine et d’un désespoir imparables, les velléités mélodiques de Sugar oubliées… jusqu’à l’épilepsie !
23 ans après la séparation de Sugar et après une carrière solo qui ne l’a pas vu dévier d’un pouce de sa trajectoire vengeresse, Bob Mould, encore plus oublié peut-être dans nos contrées, nous revient avec un album qu’il qualifie de… joyeux, témoin d’une démarche plus positive, renouant donc avec les tentatives – avortées, mais louables – de créer une musique un peu moins extrémiste. De fait, Sunshine Rock ressemble à s’y méprendre au petit frère de Copper Blue, comme si les 25 ans qui les séparent n’avaient été qu’une parenthèse désenchantée, voire même tragique pour Bob (la perte de ses parents, le décès de Grant Hart, l’exil loin d’une Amérique qu’il enrage de voir livrée au délire fasciste de Trump…).
« I reach into the sky, grab the nearest shooting star / Breaking it in two, I give my heart to you / I’ll be your astronaut, you know we won’t get caught / We’re headed straight into the sunshine rock »… Eh oui, tout peut arriver, Sunshine Rock nous montre ce vieux révolté de Bob peut encore devenir tout romantique. Serait-ce l’effet magique de l’amour ? « My troubles, they are ending / My sorrows, they are few / If I write a sunny love song every day / I can shine so bright on you, so true » : nous, nous sommes bien d’accord pour écouter ce genre de chansons d’amour ensoleillées quand elles nous sont offertes sur un tel lit d’électricité. Et quand le rythme ralentit – un peu –, et que claviers et cordes viennent étoffer certaines chansons, on peut même profiter du chant majestueux, poignant, de Bob, comme sur The Final Years, ou sur la merveilleuse Lost Faith (« Every day, I ask myself / How and when does sadness end? / Many ways to hurt myself / Lost again, lost again… »), qui pourra rappeler les plus belles heures de Michael Stipe et de R.E.M… Mais bon, comme on ne se refait pas, et comme le soleil et les sentiments, ce n’est toujours pas tout dans la vie de Bob, l’album comporte aussi quelques brûlots à la rage titanesque, comme l’exaltant Send Me a Postcard, ou comme l’extraordinaire I Fought For You… qui nous rappellent que la musique est toujours quelque chose de diablement sérieux pour lui.
Aux dernières nouvelles, la tournée européenne de Bob Mould ne passerait – une fois de plus – pas par la France… Qu’il est dur d’aimer cet homme qui ne veut pas de notre amour, ensoleillé ou pas !
Eric Debarnot