Et si tout était aussi beau que la musique de la néo-zélandaise Hollie Fullbrook à la tête de Tiny Ruins ? Peut-être, sûrement, comme dirait l’autre, que le monde serait meilleur, faut-il que j’explique pourquoi ?
Quitte à donner l’impression de tomber dans des effrois adolescents ou des questionnements existentiels pour pré-pubères, j’ose l’interrogation : Pourquoi le monde est-il si moche, si laid, si pas terrible en somme ? Non, non laissez-moi finir, je ne suis pas de nature plaintive, loin s’en faut mais il faut bien que la laideur toute spirituelle de notre monde et de notre existence est une forme de sens même absurde. C’est à cela que servent les grands disques, à être des témoins d’un certain contraste, à savoir se mettre en antagonisme avec les climats de l’instant présent.
Olympic Girls, le troisième disque au format long de la jeune néo-zélandaise Hollie Fullbrook et de ses Tiny Ruins est de cette essence-là, il donne du sens à la laideur car la beauté, plutôt que de nous intimider, ici, sait se faire généreuse.Pourtant, des disques déchirants de folk lumineux portés par une voix féminine, on en a entendu quelques kilos au moins.
Hollie Fullbrook n’est jamais diaphane ni évanescente. Messieurs, vous ou plutôt toi qui me lis, tu n’en as pas assez de cette image clichée de la femme enfant armée de sa guitare qui pousse des mélodies plaintives vaguement incarnées ? Ce n’est pas ce que propose Olympic Girls. La dame a quelque chose de rocailleux et d’âpre, peut-être la faute à son accent presque rural, la faute aussi à des mélodies à tiroir, à la fois complexes et limpides
Etre féminin, être humain, être douce, être chair… Et si Hollie Fullbrook n’en avait que faire ? Son école, son niveau à elle, c’est celui des Dinah Washington,, d’une Karen Dalton ou encore d’une Connie Converse. Sans artifice et sans superflu, elle affirme un être plein et entier, quelque chose d’universel.
On ne trouvera guère à sa hauteur que Jenny Lysander, Susanne Sundfør ou la méconnue Adrianne Lenker qui a sorti le superbe Abysskiss (2018). A la faveur d’une complexité assumée dans les arrangements, Hollie Fullbrook nous déroute avec délectation et nous permet d’entrer dans un état second, une espèce de petite mort heureuse. Jouant d’un côté sur la pédale d’un académisme doucereux, de l’autre sur une orthodoxie étrange.
Cela n’empêche pas à l’ensemble d’être dans un climat de nonchalance volontiers accueillant, entre Soul galbée et préciosité janséniste. Un pied du côté d’Epicure, une main posée sur la croix, le cœur en quête d’une solitude.
Malgré cela et grâce à cela, Hollie Fullbrook semble obsédée par les ombres, ces petits riens qui ne sont pas encore des silhouettes, ces mondes cachés à l’arrière de nos mondes connus. Hollie Fullbrook se pose en catalyseur d’une découverte, d’une révélation, un peu comme ces images qui apparaissaient sur du papier d’argent. Ingmar Bergman, le vieux sage suédois ne disait-il pas ?
« J’ai parfois envie de poser mes mains sur mon visage et de ne plus jamais les enlever. Que vais-je devenir, moi et ma solitude? Longues les journées, silencieuses les soirées, et les nuits sans sommeil. Que faire de tout ce temps qui déferle sur moi? Alors je me réfugie dans mon désespoir et le laisse me consumer. J’ai remarqué si je tente de l’éviter ou de le retenir à l’écart, tout est plus difficile. Il est préférable de s’ouvrir, d’accueillir ce qui vous tourmente ou vous fait mal, de ne pas fermer les yeux ou se dérober comme je faisais avant. »
La force d’Olympic Girls n’est-il pas aussi de nous révéler tels qu’en nous-mêmes ? De minuscules créatures, des hologrammes douloureux en quête du beau et du bruissant… On peut bien calmer son pas désormais car Hollie Fullbrook a peut-être quelques réponses à nos doutes… A nous d’y entendre quelque réconfort.
Greg Bod
Tiny Ruins – Olympic Girls
Label : Marathon Artists / Pias
Sorti le 1er février 2019