Après Far islands and Near Places (2016), le pianiste Quentin Sirjacq poursuit avec Companion une entreprise de déstructuration de son univers musical, entre Arvo Pärt, Tortoise et Terry Riley.
Le moins que l’on puisse dire de Quentin Sirjacq, c’est bien que les étiquettes ne lui conviennent pas vraiment. On aurait tôt fait de lui accoler celle de pianiste néo-classique dans la veine Satie ou Nymans. Ce serait oublier sa double-culture, classique certes mais Jazz aussi. Car de tout temps, dans sa musique, il y a eu un rapport percussif, rythmique au jeu. Depuis Far islands and Near Places (2016), son dernier disque en date, on peut désormais y adjoindre une volonté plus électronique toujours plus affirmé.
Companion, son quatrième album, pousse encore plus loin le cheminement vers une musique changeante qui doit autant à Steve Reich, au Duke Ellington du River Suite ou encore à Arvo Pärt. Mais une fois que l’on a dit ça, on a sans doute décrit nombre de disques de néo-classique qui atterrissent inopinément sur nos platines, certains passionnants et s’émancipant de leurs références et d’autres se vautrant dans la facilité.
On a pu aussi parfois reprocher par le passé une forme d’évanescence à son jeu de piano se refusant à la virtuosité. Companion suit cette veine émotionnelle, volontiers lyrique. La première partie du disque s’ouvre par des parties de piano qui finissent par se conglomérer en phases synthétiques ornées de glitchs et de répétitions. Un peu comme si le Tintinabulisme estonien se confrontait aux élucubrations du Tortoise de TNT (2001). Variations qui porte décidément bien son nom renvoie tout autant à Jon Hopkins qu’à John McEntire.
On entend ici et là quelques tentations d’exotisme, la révélation d’une Asie de pacotille dans la musique du français. Rien de surprenant à retrouver une fois encore Quentin Sirjacq sur l’excellent label japonais Schole Records. On retrouve chez le pianiste cette même ouverture au monde et un refus de s’enfermer dans une unité musicale à l’image d’un Akira Kosemura, d’Haruka Nakamura, de Flica.
S’il fallait d’ailleurs mettre en avant un disque de ce label bien trop discret, ce serait sans doute celui de Motohiro Nakashima, We Hum On The Way Home (2009). Une merveille de lyrisme tout en retenue.
Quentin Sirjacq n’en oublie pas pour autant son identité européenne avec le titre qui donne son nom à l’album qui réveillera en vous ces frissons ressentis à l’écoute du Fordlandia du regretté Johann Johannsson. Il y a d’ailleurs dans les chutes de chacun des titres qui forment Companion un peu de cette science du drame latent que l’on aimait tant chez l’islandais.
Quentin Sirjacq poursuit donc un lent cheminement de destruction paisible mais dans tout acte de recherche, il y a toujours une forme d’évaporation, de désagrégation qui permet ensuite d’en sortir grandi. Avec Companion, le pianiste continue d’apprendre à désapprendre pour mieux se retrouver et rencontrer un être qui n’est et ne sera que lui.
Greg Bod
Quentin Sirjacq – Companion
Label : Schole Records
Sortie le 22 février 2019
Variations version youtube puis Variations version bandcamp 5 secondes après, le meilleur titre de l’album : Echo variation