Le troisième volet de cette saga épique nous entraîne au cœur d’une forêt terrifiante, qu’un guerrier dénommé Lours devra traverser pour rejoindre la tribu qui l’avait banni autrefois et affronter les siens.
Cette fois, c’en est fini de la dynastie des Ogres-dieux. Désormais, le royaume est en proie au chaos. Petit, mi-homme mi-ogre, est parvenu à s’échapper avec sa compagne Sala, mais il est activement recherché par le chambellan qui veut l’installer sur le trône dans une tentative de rétablir l’ordre. Lors d’une embuscade, Sala est capturée par les soldats du Chambellan. Petit, gravement blessé, est recueilli par un mystérieux personnage prénommé Lours.
Fer de lance de la belle collection Métamorphose des Editions Soleil, la série des Ogres-Dieux trace depuis quatre ans son sillon, et ce de façon peu linéaire puisque ce troisième opus commence là où se terminait le premier, tandis que chaque volet est centré sur un personnage de la saga. Après Petit, Demi-Sang (Yori le chambellan), les auteurs nous proposent le portrait de Lours, le bien nommé, combattant nomade et clandestin pour la liberté et la justice : entré dans la rébellion après avoir été chassé des troupes du royaume, Lours était apprécié pour ses qualités de fin stratège mais fut une victime collatérale des luttes de pouvoir. En résistant à la tyrannie du chambellan, l’homme se livre parallèlement à une quête personnelle: obtenir la reconnaissance d’un père qui l’avait autrefois renié. Pour cela, il lui faudra traverser une immense forêt sombre et pleine de dangers, avant de rejoindre la tribu barbare où il a grandi.
Si dans la forme on est plutôt dans le registre de l’aventure gothique teintée d’heroic fantasy, la trame de fond demeure l’étude psychologique de la nature humaine, les fameux ogres ne sont là que pour illustrer la cruauté et l’arbitraire d’un pouvoir tyrannique. Dans Le Grand Homme, c’est une fois de plus, avec le besoin irrépressible de Lours d’être reconnu par son père, la question de la descendance présidant à la destinée d’un individu qui est abordée. Une question vieille comme le monde : pouvons-nous décider entièrement de notre destin ou sommes-nous immanquablement lesté par le contexte social et éducatif où nous avons grandi ?
Cette fable œdipienne épique signée d’Hubert est comme toujours rehaussée par le graphisme unique de son compère Gatignol, lequel frappe par l’omniprésence de ce noir intense, parfaitement adapté au côté gothique de l’histoire. La séquence de la forêt est d’ailleurs emblématique de ce tome, faisant remonter avec délice nos peurs enfantines. Les troncs gigantesques et le feuillage inextricable y apparaissent extrêmement menaçants, semblant recouvrir mille dangers, telle une prophétie sinistre de ce qui attend Lours. Et en effet, le récit se terminera de manière saisissante, dans un tourbillon psychédélique de sang et de fureur, auquel succédera, contre toute attente, l’apaisement…
Avec leurs Ogres-Dieux, Hubert et Gatignol, duo à la synergie rêvée, sont l’air de rien en train de construire une œuvre qui restera symbolique de cette décennie, une œuvre où la vigueur du manga vient flirter avec l’imagerie gothique européenne, où terreur et flamboyance côtoient l’épaisseur psychologique des protagonistes, où les contes d’antan rejoignent la puissance shakespearienne, le tout par une alchimie qui, on doit le reconnaître, se bonifie avec chaque album, monumentalisant toujours davantage cette épopée au souffle indéniable.
Les Ogres-Dieux t.3 : Le Grand Homme
Scénario : Hubert
Dessin : Bertrand Gatignol
Editeur : Soleil
188 pages – 26 €
Parution : 21/11/2018