Le lyonnais Jean-Louis Prades qui se cache derrière Imagho a voulu retravailler les angles et les lumières de Soleil de Tokyo (2017), il en revient avec une régénérescence pleine et entière, une renaissance ou une place au Soleil.
Et si les disques importants étaient ceux qui sont difficiles à accoucher pour l’artiste qui les produit et difficiles à apprivoiser pour ceux qui les écoutent ? Assurément, Soleil que l’on a connu en 2017 sous sa première version de Soleil de Tokyo, est de ceux-là. Pourquoi revenir alors sur des compositions déjà existantes ? Sans doute car le lyonnais Jean-Louis Prades pensait que ces titres devaient encore se coltiner avec son obsession à trouver le son, la prosodie compatible. Sans doute car son aîné, « sorti » en 2017, n’avait peut-être pas eu l’édition qu’elle méritait et que pour lui rendre pleinement justice, il fallait se contraindre à en retravailler les contours. Sans doute y a-t-il quelques basses et triviales raisons de droit. Il en résulte à l’écoute et si l’on doit tirer quelques conclusions des deux disques une impression d’un disque moins claustrophobe et moins étouffé que Soleil de Tokyo, peut-être plus ouvert et plus lumineux.
Et si finalement, créer c’était tenter de combler un vide entre la frustration et l’obsession, la tentation du doute et les certitudes dangereuses ? Aussi orgueilleux que cela puisse le paraître, on est convaincus que Jean-Louis Prades était bien conscient qu’il était avec Soleil sur un parfait point d’équilibre, qu’avec ce disque, il avait sa grande oeuvre. Levons de suite ce soupçon ridicule d’orgueil car la démarche d’Imagho s’apparente plus à celle d’un peintre qui tente de trouver à travers des esquisses l’image parfaite d’un être qui n’existe pas. Soleil n’est en rien un fac-similé de Soleil de Tokyo, il en est plutôt un aboutissement, une finalité en points de suspension. On entre ici dans des paysages que l’on croit familiers mais l’angle de vue, les lumières changeantes, la saison perturbent nos habitudes.
Jean-Louis Prades a longuement hésité à mettre du chant et des paroles dans ses compositions majoritairement instrumentales, pourtant les mots ne l’ont jamais intimidé. Il n’avait pas encore trouvé la musicalité idoine pour son dialogue avec sa guitare. Cette volonté d’un spoken word sensuel se pose là comme une belle proposition. L’écriture sonne comme un aveu, comme des confidences elliptiques. On pensera souvent à un slowcore asthénique, à Chris Brokaw et Codeine.
Autant dans ses disques instrumentaux, on retrouve cette poésie étrange et singulière d’un Mocke avec lequel il a d’ailleurs collaboré sur Half Quartet (2014), autant ici il affirme une précision plus naturaliste. Sa musique est tour à tour un jazz pastoral, une dispersion dans la poussière. L’ambiance, ici, est lancinante à l’image du grand marcheur et de cette forme d’hypnose qu’entraîne le long effort endurant. Nous marchons aux côtés de Jean-Louis Prades, à son empathie suggestive.
Au fur et à mesure que nous entrons dans Soleil, il s’imprègne en nous insidieusement. On sent la chaleur du sentier, la menace de l’orage qui ne gronde pas encore, mille images… Des murmures parfois, une présence humaine à peine perçue, une absence qui devient tangible comme un être aimé. L’ailleurs est flou, les certitudes n’ont pas lieu d’être.
S’il ait une vertu dont Jean-Louis Prades alias Imagho fait preuve c’est assurément de persévérance, malaxant un matériau jusqu’à lui faire rendre gorge avec la seule certitude de laisser s’exprimer une sensibilité de chair et d’os. La marque des disques qui deviennent des compagnons chers.
Greg Bod
Imagho – Soleil
Label : Images Nocturnes label
Date de Sortie : 22 janvier 2019