A 64 ans, Mark Hollis, ancien leader des Talk Talk et créateur des plus beaux disques de ces quarante dernières années a fini sa métamorphose dans le silence.
Avez-vous déjà observé la vie éphémère d’un carré de sucre aussi trivial qu’il puisse vous paraître ? Au contact du liquide noir, il se dissout lentement mais inexorablement en minuscules particules poreuses. Ni vraiment des larmes ni encore des gouttes. Assurément il se dissout en un infime limon avant de disparaître totalement. Pourtant et malgré cela, on en ressent encore la douceur derrière l’amertume. Sa présence reste palpable malgré l’évaporation. Et si c’était pareil avec le silence ou l’absence ? Et si le silence n’était pas seulement cette menace inquiétante et intimidante ? Et Si l’absence pouvait être la promesse d’une rencontre avec le silence ?
Comme quelques autres avant lui, Gustav Mahler, John Cage ou Arvo Pärt, toute sa vie durant, Mark Hollis a poursuivi une quête à la manière d’un Don Quichotte. De cette exploration est née une des expériences les plus vitales que la « Pop » ait connue. Certains parleront ici de frustration ou de gâchis mais avouons-le avec ces six albums comme une lente progression vers un ailleurs, Mark Hollis (et les siens) a su mettre à distance l’indécision ou les mauvais choix. Autant se taire si rien n’est à dire. Le silence, toujours le silence.
On a tôt fait de mystifier les grands absents, les Jerome David Salinger, les Greta Garbo ou les David Bowie. Mark Hollis, lui, avait considéré que le mutisme était la seule loi permanente.
On parla même de suicide artistique ou commercial quand Talk Talk entama sa mue après deux honnêtes albums de New Wave pour amener leur rythme vers des territoires qui devaient autant au Jazz qu’à une dilution qui provenait du Rock Progressif, créant au passage un nouveau mouvement musical, le Post Rock. De Bark Psychosis à Matt Elliott, combien d’artistes se sont réclamés de l’héritage de ce groupe et de Mark Hollis ? Lors des nombreuses interviews que j’ai eues la chance de faire, Mark Hollis est la référence qui ressort le plus, le point d’orgue d’une admiration. Cette phrase sempiternelle mais si sincère :
Et puis il y a Mark Hollis.…
Il peut être paradoxal de penser qu’un artiste aussi taiseux ait eu une influence aussi prégnante sur autant d’artistes. Il peut être également paradoxal de se dire que pour beaucoup, il restera l’auteur de Such A Shame quand on connaît par ailleurs toute l’immensité de l’univers Mark Hollis. Si immense que l’on n’a pas fini de le découvrir.
Et si Mark Hollis était pareil à ce carré de sucre trivial. Déjà 21 ans qu’il nous avait donné comme piste le silence. Pourtant, si vous regardez longuement, vous découvrez ici et là quelques ondes graciles, quelques particules presqu’invisibles, un limon fertile. Pour l’heure, nous ne sentons que l’amertume et pas la douceur. Demain, nous comprendrons enfin que le silence n’a ni gagné ni perdu mais qu’il EST et les notes déjà plus vraiment notes de Mark Hollis seront là pour nous montrer le chemin vers le calme.
Et si nous étions, nous-aussi, des carrés de sucre ?
So long Mark…
Greg Bod