Cette émouvante chronique nous immerge dans le quotidien d’un centre de désintoxications à travers le destin de personnes qui entament un long parcours pour ne plus être prisonniers de leur addiction. Un film choral généreux et naturaliste.
Fabienne Godet, diplômée en psychologie, découverte avec le sensible Sauf le respect que je vous dois (2006) sur le monde du travail puis confirmée avec le prenant documentaire Ne me libérez pas, je m’en charge (2009) sur l’enfermement carcéral, revient avec un sujet brûlant de notre société par le biais d’une fiction très documentée. Avec humanisme et bienveillance sa caméra tel un ange gardien se penche de suite sur le cas de Margot 32 ans qui arrive à bord d’une estafette vers une demeure austère perdue au milieu de la campagne. La trame narrative se fera par le prisme de Margot brisée par l’abus d’alcool et de toutes sortes de substances narcotiques dont la prise quotidienne lui servait d’exutoire pour survivre d’un lourd secret. À peine arrivée toutes ses affaires sont inspectées, tout doit rester au seuil de ce centre pour s’engager moralement à n’utiliser aucun médicament (sous peine d’être renvoyé) pour entamer cette thérapie sur dix semaines.
Afin de mieux nous décrire le difficile processus de reconstruction, la réalisatrice opte pour la veine réaliste mais sans jamais tomber dans le misérabilisme malgré certaines situations sans fard (état de manque, vomissements…) et les nombreuses sessions de discussions intimes en groupe sous l’écoute attentive d’un ou deux thérapeutes, toujours là pour pointer avec des mots bien choisies les failles des personnes qui s’expriment et tente parfois d’éviter de se confronter à leur réalité et aux regards des autres. La réussite narrative du film tient dans sa justesse humaniste par le biais de dialogues authentiques et par l’adéquat description des tranches de vies singulières de tous les pensionnaires d’horizons et de classes sociales différentes au sein d’un groupe. Cette œuvre illustre également sincèrement la tension toujours prégnante pendant cette cohabitation particulière lors des régulières prises de paroles, les repas à la cantine ou « exercices » collectifs. Chaque individu existe à l’écran et ne tombe jamais dans la caricature, chaque blessure intime trouve la même empathie à travers une mise en scène pudique. À bonne distance, l’auteur développe un magnifique hymne à la solidarité, où chacun pour se remettre debout va trouver béquille à ses maux. L’histoire conte des vies brisées dont l’altruisme de l’autre va aider à sa consolidation et ainsi pouvoir permettre un jour au bout du chemin de la rédemption, que leur propre image sans honte puisse à nouveau voir le jour devant leur glace. Ici, seul les mots brisent, tous les silences trop longtemps enfouis dans des cris addictifs artificiels et illusoires ou dans une violence viscérale dont la honte viendra les submerger ensuite.
En dépit du sujet éprouvant, ce généreux long métrage choral naturaliste imprégné de noirceur regarde toujours vers la lumière, la gravité se noie peu à peu vers, le solaire malgré les accidents de parcours de certains patients qui vont vaciller le groupe. Un vibrant récit de fraternité où la détresse des âmes trouve une planche de salut au sein de ce lieu de résilience qui bénéfice de la puissante interprétation de Julie Moulier, et de tous les autres acteurs particulièrement attachants.
Venez donc accompagner ces existences fissurées à travers cette sobre mosaïque qui prouve encore que malgré tous les tourments de nos destins individuels, il faut toujours respecter Nos vies formidables et la précieuse relation à l’autre. Une profonde ode à la vie délicate, intime et émouvante.
Sébastien Boully
Nos vies formidables
Film français réalisé par Fabienne Godet
Avec Julie Moulier, Zoé Héran, Bruno Lochet…
Genre : Drame
Durée : 1h57
Date de sortie : 6 mars 2019