Qui connaît encore en 2019 le nom de Lizzy Mercier Descloux ? Qui se souvient de cette jeune femme littéralement extra-ordinaire qui a failli, et seulement failli, devenir l’un des phares musicaux de sa génération ? Lizzy Mercier Descloux, une éclipse, de Simon Clair permet de revivre la trajectoire épique d’une vie aussi brillante qu’inéluctablement vouée à l’échec.
Difficile d’expliquer a posteriori ce qui s’est exactement passé… Qu’est-ce qui a tellement foiré… Car enfin, notre génération, qui était amoureuse en 1975 de Patti Smith, puis du Blank Generation de Richard Hell… Qui a ensuite dansé sur le reggae enregistré dans les studios de Nassau, de Marley à Gainsbourg… Et qui en 1987 délirait sur Johnny Clegg important d’Afrique du Sud les rythmes et les sons du mbaqanga… n’a jamais pour autant prêté la moindre attention à Lizzy Mercier Descloux, jeune française stupéfiante – dans tous les sens du terme -, qui a été au cœur, voire a même anticipé ces courants musicaux, du no wave à la disco, du reggae aux rythmes brésiliens pour en arriver à la World Music.
Lizzy Mercier Descloux, une éclipse, le passionnant ouvrage de Simon Clair sur Lizzy a été écrit pour enfin célébrer une artiste « naturellement » d’avant-garde, une pionnière largement ignorée de tant de genres qui ont ensuite marqué leur époque. Mais il a surtout été écrit pour tenter de comprendre le comment et le pourquoi de cette « éclipse » d’un talent aussi étincelant. Lizzy, en dépit de l’admiration éperdue que lui ont voué nombre d’artistes importants, malgré une poignée de chansons impressionnantes en termes d’intuition musicale et de vitalité, n’a jamais véritablement existé dans le paysage musical. Elle est morte dans une semi-misère, emportée par un cancer qu’on imagine largement causé par une hygiène de vie déplorable : « die young, stay pretty », on connaît la chanson, mais une fois encore, on ne peut que pleurer la combustion inutile d’une telle étoile filante. De Lizzy il ne nous reste que quelques photos où l’on devine un charme dévastateur (on comprend à la lecture du livre que tous, hommes ou femmes, tombaient instantanément sous le charme de Lizzy), et quelques enregistrements d’une qualité pour le moins variable… ce qui empêche finalement que l’on puisse un jour espérer une réhabilitation complète de l’artiste, comme cela a pu être le cas pour bien d’autres musiciens trop en avance, ou trop décalés par rapport à leur époque.
La lecture de Lizzy Mercier Descloux, une éclipse devrait à notre avis être idéalement accompagnée de l’écoute de ces quelques albums qui nous reste, du chaos extrémiste de l’EP Rosa Yemen (1979) à l’anonymat sur-produit de Suspense (1988), en passant bien entendu par la disco déjantée et le minimalisme atonal et ironique de Press Color (1979) ou la visite guidée de Soweto sur Zulu Rock (1983). Les mots de Clair, les commentaires plus ou moins sujets à caution des témoins de la trajectoire de Lizzy gagnent en poids et en valeur quand on entend ces enregistrements, qui retranscrivent de manière crue les « problème d’attitude » de celle qui n’a ni voulu ni pu jouer le jeu du show biz, les « limites artistiques et vocales » d’une jeune femme restée fondamentalement « punk », ayant refusé longtemps l’apprentissage du chant et les compromis artistiques, jusqu’à ce qu’il soit trop tard…
On peut également lire en filigrane ici un constat déprimant du machisme des milieux artistiques, aussi d’avant-garde soient-ils : il était si difficile à une jeune femme sans le sou, armée de sa seule conviction, de « percer » dans ce monde-là sans l’appui d’hommes, des hommes qui l’utiliseront et qui la renverront inévitablement à son rôle de maîtresse et d’objet de désir. Les choses se sont-elles améliorées d’ailleurs aujourd’hui ? C’est loin d’être certain…
Eric Debarnot