Rosie Davis propose une émouvante chronique sociale, à travers le combat d’une famille modeste irlandaise, en difficulté pour trouver un abri décent pour passer la nuit au cœur de Dublin depuis que leur ancienne maison a été mise en vente par le propriétaire.
Un carton introductif installe directement la situation politique et le fléau de la crise du logement qui gangrène l’Irlande en indiquant que le taux de SDF du pays est le plus élevé en Europe. Puis une voix féminine rompt le silence, la situation se précise, on devine une femme au téléphone, alors que les premiers plans mettent en lumière une vitre embuée par des gouttes d’eau qu’une main déterminée tente d’évacuer pour y voir plus clair dehors. D’emblée, l’avenir s’annonce flou, et le réalisateur nous invite à accompagner le destin de cette trentenaire au regard empathique dont le point de vue devient tout de suite le fil narratif de l’histoire.
Très vite l’auteur plante le décor de l’intrigue. Paddy Breathnach dévoile avec réalisme la situation d’une famille de classe moyenne en lutte chaque jour afin de trouver un chambre d’hôtel pour la nuit. Cette course contre la montre sociale dure déjà depuis deux semaines. Depuis que leur ancien propriétaire a décidé de mettre en vente la maison que cette famille ne peut racheter faute de revenus suffisants.
La caméra bienveillante dresse le portrait de cette famille sans problème : la femme est mère de famille de 4 enfants et le père travaille dur comme employé dans la cuisine d’un restaurant.
Le cinéaste, caméra à l’épaule, suit ainsi le combat de la précarité ordinaire où des travailleurs pauvres deviennent tout d’un coup sans-abri à cause de circonstances indépendantes de leur volonté. La mise en scène en lumière naturelle instaure de la sympathie envers cette famille aimante et donne de l’authenticité au récit. La caméra reste humble aux côtés de cette mère perchée au téléphone, à l’intérieur de sa voiture, pour tenter de trouver un hôtel qui acceptera une famille avec une carte de crédit sociale attribuée par la mairie, tout en devant constamment s’occuper de ses quatre enfants : Kayleigh, 13 ans, Millie, 8 ans, Alfie, 6 ans, et Madison, 4 ans.
À travers de nombreuses scènes du quotidien : emmener les enfants dans leurs écoles respectives, faire la lessive, aller aux toilettes, manger dans la voiture où dans une chambre d’hôtel exiguë pour six, le cinéaste nous dévoile cette réalité concentrée scénaristiquement sur deux jours, comme un rude cercle vicieux qui peut broyer les hommes. Mais ici, cet engrenage de la précarité est mis à mal par cette formidable mère courage, une héroïne des temps modernes (sans canne, ni chapeau), suivie en plans serrés, qui se bat avec détermination et énergie pour garder la dignité de toute la famille, refuser que cette situation détruise les valeurs éducatives instaurées, quitte même à refuser l’hospitalité de sa mère (avec qui elle est en froid pour des questions paternelles sordides). À l’intérieur de cette voiture, véritable radeau de la méduse, dont Rose ne rêve que de sortir, elle rame comme elle peut, soutenue par son mari aimant, pour ne pas baisser pavillon au milieu de la tempête, malgré quelques éphémères flots de larmes en espérant toujours voir le soleil pointer à l’horizon.
Mais l’âpre récit dépasse le cadre de l’habitacle de la voiture, devenu une demeure familiale, et s’offre quelques bouffées de complicités familiales bienvenues. Mais cette situation éprouvante implique des conséquences intimes sur leur communion (harcèlement scolaire, alimentation restreinte, tensions…).
Cette histoire, qui convoque aussi bien l’obstination de certaines femmes vus dans les films des frères Dardenne mais également dans le cinéma social sensible de Ken Loach, franchit les simples frontières irlandaises pour nous conter une fable ordinaire qui éprouve universellement de nombreux humains travailleurs, méritants tous sur cette planète d’avoir le simple droit à un logement.
Cette chronique haletante et épurée, (avec la superbe BO Stephen Rennicks), s’appuie sur l’épatante Sarah Greene, bien accompagnée par Moe Dunford et par un étonnant casting d’enfants, dont l’alchimie globale donne une belle authenticité à cette histoire.
N’hésitez pas à venir soutenir cette famille soudée, embarquée dans cette tragédie contemporaine de la paupérisation, emmenée par la courageuse Rosie Davis. Une œuvre pudique, puissante et déchirante.
Sébastien Boully
ROSIE DAVIS
Film irlandais réalisé par Paddy Breathnach
Avec Sarah Greene, Moe Dunford, Ellie O’Halloran
Genre : Drame
Durée : 1h26
Date de sortie : 13 mars 2019