Le New Morning était sold out samedi soir pour fêter avec Elliott ses 70 ans. Et l’ami du Boss a prouvé que lui aussi, à son âge, pouvait jouer plus de 3 heures sans faiblir !
C’est une chance et un privilège de pouvoir grandir, puis vieillir avec un artiste, une chance et un privilège peut-être appelés à disparaître, vues les difficultés qu’ont désormais les musiciens à vivre de leur Art. Nous sommes ainsi quelques uns à avoir accompagné – et à avoir été accompagnés par – Elliott Murphy pendant plus de 40 ans, depuis l’explosion émotionnelle de Night Lights, son sublime album de 1976… et à nous retrouver ce soir, dans la petite salle chaleureuse du New Morning, à fêter avec lui ses… 70 ans. Dehors, le chaos a envahi ce samedi encore les rues de la Capitale, et il nous faut l’optimisme de cet “Americain à Paris” – depuis 30 ans, Elliott vit ici… – pour nous rappeler que cette ville sait aussi accueillir les Artistes du monde entier, voire, comme le dit Elliott ce soir « … leur sauver la vie ! ».
Sinon, il peut être nécessaire de rappeler aux plus jeunes et aux plus amnésiques qu’Elliott Murphy fut il y a plus de 40 ans une star instantanée à qui l’on promettait un avenir similaire à celui de Bob Dylan ou de David Bowie : il avait tout, les chansons, la voix, la beauté. Et puis, rien ne s’est passé comme prévu, le système l’a recraché au bout de 3 ou 4 ans, faute d’un succès commercial suffisant. Elliott a donc eu cette deuxième chance – que le dicton n’accorde pas aux héros américains – d’être adopté par l’Europe, et par la France en particulier : il y a rencontré Françoise, sa femme, avec laquelle il a reconstruit sa vie, et Olivier (Durand), jeune guitariste prodige avec lequel il a reconstruit sa musique. Et des centaines de fans en Italie, en Espagne, en Belgique et en France bien sûr, qui sont devenus, comme il le dit « après sa famille, son trésor le plus précieux »…
Ce qui nous ramène ce soir au New Morning, où comme tous les ans, nous fêtons avec Elliott son anniversaire, celui-ci étant un peu plus marquant, et peut-être même plombant, le changement de décennie étendant un certain voile d’angoisse sur l’événement. Il y a dix ans, au même endroit, on pouvait plaisanter : « 60 ans, ce sont les nouveaux 40 ans… ! », c’est un peu plus difficile aujourd’hui : la vue baisse – Elliott demande régulièrement de l’aide à son fils Gaspard pour vérifier qu’il a choisi le bon harmonica -, et les amis commencent à disparaître : Patrick Mathé, fondateur de New Rose, le label qui a recueilli Elliott à son arrivée en France, est décédé il y a quelques mois, avant d’atteindre ces fameux 70 ans, lui ; on lui dédiera une très touchante version de Last Call… Mais les amis qui restent sont là, sur scène comme dans la salle : les vieux (Olivier Durand et Alan Fatras, des Normandy All Stars, qui n’existent plus depuis la triste disparition de Laurent Pardo…, Alain Chennevière de Pow Wow, qui vient prêter sa voix sur une version de Absalom, Davy & Jackie O construite en long et magnifique crescendo), comme les nouveaux (Leo Cotton le claviériste fou – et virtuose – et Melissa Cox, la violoniste hilare). Ceux qui ne sont pas là, la plupart vivant à New York, ont envoyé des messages d’amour et de fidélité par téléphone, messages qu’on écoutera au milieu du rappel : Ernie Brooks, le fidèle compagnon a récité un très beau texte, « en cette période de chaos, des deux côtés de l’Océan », tandis que le Boss, vieux copain d’Elliott, plaisante en disant que lui aussi va rejoindre le club des 70 cette année… Et la famille française : Françoise qui monte sur scène pour faire un peu de pub pour l’exposition « A Touch of Kindness », inspirée par la belle chanson d’Elliott (son plus grand succès commercial… en Belgique… !) et qui n’ a plus envie de s’en aller, mais claquera un baiser sur la bouche de son homme avant de pincer le nez de son fils ; Gaspard, bien sûr, que nous avons vu grandir sur scène, et qui est devenu un producteur et un musicien émérite… Armé de son étonnante basse à 6 cordes, il nous interprétera au débotté – sous la pression de son père qui galère à changer une pile de son micro de guitare – une jolie version du Come As You Are de Nirvana.
Et ce soir, même si les yeux ne suivent plus, Elliott va nous prouver que, contrairement à ce qu’il affirme avec son éternel sens de l’humour (« Le Rock’n’Roll, c’est comme la Sécurité Sociale, il y a des règles ! A 65 ans tu prends ta retraite… Dans le Rock, à 70 ans, tu n’es plus un Rocker, tu es un… Bluesman ! »), il reste plein d’une énergie incroyable : le set de ce soir va durer 3 heures et 25 minutes, avec seulement 15 minutes de pause au milieu ! Plus de trois heures de musique venue droit du cœur, avec son habituelle alternance de moments d’intense émotion (une sublime version de Diamonds by the Yard, une magnifique – comme toujours, me direz-vous – interprétation de On Elvis Presley’s Birthday) et de rock endiablé, où le mot d’ordre est « plaisir avant tout ! » : I Want to Talk to You, Alone in my Chair, Come on Louann en final festif, des chansons de toutes les époques, sélectionnées tout au long d’une carrière qui commence à vraiment peser son poids, même si la célébrité globale a définitivement échappé à Elliott…
On a forcément envie de revenir sur chaque chanson, une par une, mais les plus beaux souvenirs n’ont pas besoin d’être écrits, ils sont dans notre cœur, pour toujours, et ils seront les seules choses que nous emmènerons avec nous, à la fin…
Un post-scriptum toutefois à cette chronique… Elliott nous a offert ce soir une rare version de sa très belle chanson, Sicily (Tropic of Separation), parce que l’une de ses jeunes fans, Laeticia, 16 ans, voulait l’entendre. Comme il s’agit aussi de l’une de mes chansons préférées d’Elliott, quittons-nous sur ces vers, qui expriment mieux que n’importe quel commentaire critique prétentieux, le talent unique de notre troubadour, ce mélange irrésistible d’humour élégant et de désespoir lucide : « I was in Sicily reading Henry Miller / You were in New York City you were getting thinner / I was in discos I was listening to Madonna / You were in sweat clothes looking like Jane Fonda / One day I called you because I couldn’t resist / It cost me eighty bucks I don’t think it was worth it / This is the last thing I expected to be / A broken hearted troubadour in sunny Sicily »…
Et nous donc, Elliott ! Quand nous regardons où nous en sommes nous-mêmes arrivés, en 2019, n’est-ce pas la dernière chose que nous nous attendions à devenir ? »
Texte et photos : Eric Debarnot
Les musiciens de Elliott Murphy sur scène :
Elliott Murphy – vocals, guitar
Olivier Durand – guitar, vocals
Alan Fatras – drums
Gaspard Murphy – bass, vocals
Leo Cotton – keyboards
Melissa Cox – violin
La setlist du concert de Elliott Murphy :
Duo with Olivier Durand
Drive All Night (Just a Story from America – 1977)
Something Like Steve McQueen (12 – 1990)
Green River (Strings of the Storm – 2003)
Navy Blue (La Terre Commune – 2001)
Absalom, Davy & Jackie O (Prodigal Son – 2017) (Band members entering one by one)
With Full Band
Change Will Come (Affairs – 1980)
Take That Devil Out of Me (Elliott Murphy – 2010)
I Want to Talk to You (La Terre Commune – 2001)
Entracte de 15 minutes
Diamonds By The Yard (Night Lights – 1976)
Razzmatazz (Notes from the Underground – 2018)
Take Your Love Away (Selling the Gold – 1995)
Ophelia (Notes from the Underground – 2018)
Chelsea Boots (Prodigal Son – 2017)
Alone in My Chair (Prodigal Son – 2017)
You Never Know What You’re in For (Night Lights – 1976)
On Elvis Presley’s Birthday (12 – 1990)
Destiny (12 – 1990)
A Touch of Kindness (Coming Home Again – 2006)
Encore:
Last of the Rock Stars (Aquashow – 1973)
Sicily (Tropic of Separation) (12 – 1990) (For Laeticia, 16 years old, in the audience)
Rock Ballad (Just a Story from America – 1977) (Duo with Olivier Durand)
Broken Poet (New song)
Last Call (Party Girls / Broken Poet – 1984)
Rock ‘N Roll ‘N Rock ‘N Roll (Elliott Murphy – 2010)
Come On Louann (Soul Surfing – 2002)
Merci pour ce report et ces superbes photos, pour moi trop loin pour y participer.
Au fait n’est-ce pas Leo Cotten plutôt que Leo Cotton ? :)
Je vérifierai pour le nom de l’organiste, je te remercie pour cette information. Eric
J’étais au New Morning samedi dernier. Merci et bravo pour votre texte et vos photos, Eric. Ce fut une très belle soirée. Je connais et écoute Elliott Murphy depuis l’album 12.
Un très, très bel album d’ailleurs !