Avec leur second disque, Sauvage Innocence, Les imprudents et notre collaborateur Dionys Décrevel, parolier du groupe signent des chansons où se côtoient en belle intelligence lyrisme et pudeur.
Il n’est pas toujours chose aisée de trouver la juste distance… Vous savez ce petit rien qui oblitère la maladresse, le malaise ou la gêne. Combien de gestes artistiques assurément sincères mais qui se vautrent dans trop de technique, trop de pâmoison ou trop de certitudes. Combien de photos ne nous parlent pas par leur mise en scène par trop technique, par l’assemblement parfaitement agencé de chaque pièce du décor qui n’en est que plus factice ? Combien de textes qui se perdent à force de s’écouter parler ? De musiciens qui restent dans leur quant à soi, dans leur zone de confort ou d’inconfort ? Il existe mille et une raisons de ne pas être touché par les créations d’un autre. Et une seule pour être bouleversé.
Les lyonnais des Imprudents, Dionys Decrevel aux textes et Vincent Russo à la composition, nous touchent avec ce second disque, Sauvage Innocence pour ces interrogations communes qu’ils partagent avec nous. On y entendra une belle écriture qui devra tout autant à Malaparte ou Moravia citée dans Camille par exemple qu’au Louis Chedid des débuts. Le chant de Vincent Russo évoque aussi bien le spoken word plus ouvert et plus Pop d’un Michel Cloup, la sensualité grave d’un Nicolas Comment ou d’un Filip Chretien.
Sauvage Innocence refuse de choisir entre les déclinaisons d’un genre. On y entend l’énergie d’une basse presque Cold Wave, merci Sebastian Espinosa pour l’instant suivant se retrouver dans une contemplation presque naïve, presque bucolique.
Chaque titre ressemble à un instantané au bord de l’anecdote, on y cite aussi bien Alain Veinstein et ses nuits magnétiques ou Bertrand Bestch et sa Colère ici reprise.
Sauvage innocence raconte la ruralité assassine avec une diction toute naturaliste, cet ennui éteint de tous les temps, le feu qui couve à l’ornière des vies en construction. Les climats énoncés ici peuvent être aussi bien de notre présent comme d’un passé inconnu.
Alberto Moravia disait en 1960 dans L’Ennui :
Ce fut alors que je devins peintre; je veux dire que j’espérai rétabli une fois pour toutes, au moyen de l’expression artistique, mon rapport à la réalité.
C’est peut-être cela qu’évoque Sauvage Innocence sans complaisance ni facilité, parfois avec âpreté, d’autres fois avec une suavité sibylline. L’écriture musicale des Imprudents n’hésite pas à se colleter réellement avec l’ennui, à se frotter à la monotonie pour mieux exprimer nos petits travers. Si l’on reste sur cette métaphore de l’italien autour du peintre, on a parfois l’impression à l’écoute de ces treize titres de basculer d’un tableau à un autre, d’un Soutine à un Pollock, d’un Léon Spilliaert cendré et torturé à la solarité d’un Matisse. C’est peut-être ça la juste mesure finalement, d’être conscient qu’il n’existe pas une réalité uniforme et banalement convenue mais une multitude d’instants qui forgent une certaine vérité, un peu celle des Imprudents et un peu la nôtre.
Greg Bod
Les Imprudents – Sauvage Innocence
Sortie le 12 février 2019
Label : Le manteau de pluie