En cette année 1978, le punk est sous perfusion et compte ses derniers jours. Leur plus célèbre représentant, les Sex Pistols, se dissolvent comme un caillou de Brown Sugar dans une petite cuillère et explosent comme la santé mentale de leur divin bassiste Sid Vicious. Johnny Rotten quitte le navire, balance ses épingles à nourrice dans la Tamise, se fait une jolie raie sur le côté et redevient John Lydon. Lydon icône du Punk fonde (avec d’autres) un groupe de Post-Punk encore plus riche et foisonnant. Public Image Ltd. vient offrir quelque chose d’encore plus sauvage, d’encore plus fou. Viscéral.
1978
Les Pistols mettent fin à leurs jours après une tournée américaine mouvementée où des hordes de puritains frigides brandissant des croix en priant sur des bouts de trottoir, pensaient faire fuir le diable vers le vieux continent d’où il n’aurait jamais dû sortir.
Les démons retournent aux enfers après maintes incantations.
De retour dans les entrailles de la Terre après avoir mis à feu et à sang le vieux monde, après avoir craché le bruit et la fureur à la face de la normalité.
Bannis de ce monde, enfouis six pieds sous terre comme leur venimeux bassiste Sid Vicious, avec toutes les peurs et les horribles réalités qu’ils traînaient derrière eux.
Le Punk n’est plus qu’un mauvais souvenir.
Ce n’était qu’un feu de paille ; des gamins facétieux qui se déguisaient pour faire peur aux bourgeois.
Tout est rentré dans l’ordre.
Mais ce feu de paille n’était malheureusement pas bien éteint. Un incendie rapide et inattendu que les pompiers aux ventres ronds et à la morale irréprochable pensaient avoir circonscrit facilement, mais dont les foyers, les nombreux autres départs de feu commençaient à percer sous la surface.
Un de ces foyers encore brûlant, ce foyer toujours virulent venait du tout premier départ de feu, des bases de cette catastrophe. Ce qui le rendait encore plus dangereux.
JOHNNY ROTTEN !!
Chanteur cinglé des pistolets du sexe, se nourrissant exclusivement de bière fraîche et d’héroïne bouillante.
Le diable en personne ! Une saleté ! Un rebut.
Un impie « inexorcisable ». L’ennemi public number one de sa majesté The Queen.
Le voilà de retour tel un zombie décharné sortant de terre pour venir bouffer les cerveaux bien gras des pisse-froids.
Pour faire table rase du passé, Rotten abandonnera son surnom pour reprendre son véritable nom.
Jeannot le pourri redevient John Lydon.
Ce garçon, pur produit du sous-prolétariat British, promis à une belle carrière de moins que rien, a explosé avec les Pistols. Après leur séparation, on ne donnait pas cher de la peau grasse du rouquin fou. Juste un garçon chanceux, veinard d’avoir fait partie d’un courant, d’une mode et d’un groupe dans le vent.
Un gamin qui retournera à l’anonymat que sa voix éraillée et son manque de talent ne tarderont pas à ramener.
Mais Lydon s’avère plus talentueux que prévu, beaucoup plus.
Il ne tardera pas à remonter un groupe après la fin des pistolets. Un groupe où il serait (avec les autres membres) entièrement décideur.
Plus de McLaren pour venir faire la promo de ses fringues « tendances » sur leur cul, plus de chemins tout tracés à suivre. Il veut faire ce qu’il a envie John. Et tant mieux !
Il est libre. En totale liberté. Et il va en profiter.
Son PIL, son nouveau groupe n’est pas là pour faire joli, pas là pour ressusciter les Pistols.
PIL vient défricher.
PIL s’aventure sans peur et chargés comme des mules cocaïnomanes sur des territoires inconnus. Les terres encore vierges du Post-Punk, cette Cold Wave qu’il restait à bâtir.
Traçant tout droit dans l’inédit, passant en force, ouvrant des sentiers à la machette. Des sentiers que bon nombres de suiveurs emprunteront.
Lydon est possédé.
Il hurle. Il hurle la messe de sa chaire comme un curé fou annonçant la fin des temps (Religion I et II).
Il n’est pas là pour plaire mais pour avancer.
Ce sont des dissonances, des stridences comme des coups de couteaux portés à la musique et à tes oreilles.
Ça suinte la peur et le désespoir.
C’est un album de toxicomane où chaque chanson est une overdose, un coma malsain.
Un album comme un voyage dans une psyché malade et perverse d’où tu ne pourrais sortir qu’en te jetant d’une fenêtre.
Lydon est fou, ou génial, ou les deux, ou aucun des deux. Mais il a créé un cauchemar sur vinyle, le son du cauchemar.
Rotten le Punk à cheveux oranges et percés d’épingles à nourrices est définitivement mort et a laissé place à John Lydon.
Ce gentil garçon bien coiffé aux yeux délavés, qui vous regardent fixement sur la pochette de l’album.
Un regard fixe qui jette des éclairs de folie un peu partout et vous emprisonne, camisole au corps, au fin fond de ces yeux tristes comme dans une cellule capitonnée.
Renaud ZBN
Public Image Ltd. – First Issue est sorti chez Virgin Records le 8 décembre 1978