Fever, le dernier album très soul pop et funky chic de Balthazar a permis au groupe de Gand d’atteindre un nouveau seuil de reconnaissance publique en France. Nous étions impatients de voir si l’essai serait transformé sur scène.
La dernière fois que j’ai vu Balthazar sur scène, c’était il y a huit ans de cela, à l’époque de leur premier album, Applause : ils assuraient brillamment la première partie d’un excellent groupe désormais bien oublié, The Joy Formidable. Et j’avais été conquis par cette joyeuse petite troupe, qui jouait une musique originale, dansante et ambitieuse, et faisait monter la pression avec un savoir-faire étonnant pour un groupe aussi jeune. Vue la qualité de leur production discographique depuis, et en particulier de leur ultra-efficace et ultra-plaisant dernier album, Fever, ces retrouvailles dans un Casino de Paris sold out me paraissaient indispensables…
20h00 : un seul musicien sur scène : Faces on TV, c’est lui, Jasper Maekelberg, par ailleurs originaire lui aussi de la belle ville de Gand, et… producteur de Balthazar ! Il nous annonce non sans humour – belge ? – que le reste du groupe est sur le vinyle qu’il place sur la platine à côté de lui, et qui lui permet de lancer le set ! L’ami Jasper est face à un fascinant assemblage de claviers, de machines et d’instruments divers, et a aussi une guitare électrique : c’est qu’il est un véritable homme-orchestre, pardon, multi-instrumentiste, et il va démontrer dans les 30 minutes qui suivent une virtuosité hallucinante dans le maniement de tout ce matériel. Ne tenant pas en place, sautant dans tous les sens en programmant ses machines, en créant ses boucles, en chantant et jouant en même temps, Jasper est déjà un spectacle complet à lui seul : fascinant ! Mais en plus, sa musique est sacrément bonne : incorporant des sonorités à la mode – pas ce que je préfère – dans des constructions sonores réellement funambulesques, il crée des chansons à la fois déstructurées et curieusement accrocheuses. En plus, le bougre chante bien, dans un style qui n’est d’ailleurs pas étranger à celui de Balthazar, et sait interagir avec le public avec bonhommie et énergie – on se demande bien comment il fait ! A la fin, les musiciens de Balthazar viennent donner un coup de main en soufflant dans des cuivres pour un seul barrissement qui sera samplé et utilisé dans le dernier morceau. 30 minutes stimulantes, et un artiste qu’on a très envie de suivre.
20h50 : intro morriconienne pour Balthazar, avec une scène très joliment éclairée. Premier flash : les cinq musiciens, soit les deux chanteurs-guitaristes, le bassiste et le batteur de Balthazar (maintenant que Patricia Vanneste, la violoniste, a quitté la formation), aidés par un cinquième larron qui passera des claviers à la guitare, au violon et aux cuivres avec talent, font preuve d’une élégance – vestimentaire, mais aussi dans l’allure – qui séduit immédiatement. La classe naturelle, ce n’est plus si fréquent dans le Rock, et je dirais même que depuis le défunt Clash, je n’ai pas vu un gang en irradiant autant… La soirée est bien partie ! Roller Coaster ouvre le bal, le son est parfait, les sonorités soyeuses et élastiques de l’album, avec la basse et la batterie en avant, sont idéalement reproduites, et je sens bien qu’autour de moi le public s’épanouit littéralement d’aise…
Plusieurs bémols quand même à ce démarrage positif de Balthazar : d’abord l’ami Maarten juste en face de moi tire une tronche d’enterrement, et s’implique clairement le moins possible dans le concert. Avons-nous affaire au syndrome du joyeux drille “loureedien” bien connu, ou bien Maarten a-t-il trop abusé de substances diverses ? Toujours est-il que cette distance est refroidissante pour nous, au premier rang. Ensuite, et sans doute avais-je perdu l’habitude de fréquenter les concerts de groupes vraiment populaires, mais ce n’est pas facile de se concentrer sur la musique plutôt sensuelle et intimiste du groupe quand on a une groupie qui jacasse et couine sans s’arrêter juste derrière vous. Et enfin, sur une décision complètement incompréhensible du groupe et / ou de son management, au bout de quelques chansons, le service d’ordre du Casino fait un raid et confisque allègrement nos appareils photos : du plus jamais vu depuis une bonne décennie, depuis que tout le monde a un smartphone en tout cas. Pas très sympa tout cela, et je dois avouer que cela me sort de l’ambiance du concert… Et ce d’autant que l’alignement des morceaux, joués comme à la parade, avec un maximum de technicité, et un minimum d’imagination et de sentiments, donne furieusement l’impression qu’on est juste en train d’écouter l’album comme à la maison. Pas vraiment ce qu’on attend d’un concert de Rock, non ?
Il me faudra personnellement attendre la seconde partie du set pour avoir la sensation que quelque chose se réveille sur scène ; c’est à partir du traditionnel crowd pleaser qu’est Blood Like Wine que Balthazar passe enfin la quatrième. Le fameux final « Raise your glass to the nighttime and the ways to choose a mood and have it replaced » permet de réveiller tout cela, et il faut dire que Jinte Deprez se démène quant à lui pour palier au manque de charisme ce soir de l’ami Maarten… Changes est ensuite, et évidemment, une bombe en termes d’allumage du feu dans la salle, son groove mélodique faisant des merveilles. Fever est littéralement monstrueux, surtout après le break instrumental du milieu, et Entertainment conclut brillamment un concert qui s’est bien rattrapé dans sa dernière partie.
Le public du Casino, bien plus positif que moi, je dois l’avouer, exulte ! The Man Who Owns the Place, réclamé à cor et à cri par un de mes voisins, permet à Maarten de faire sa seconde imitation convaincante de Leonard Cohen de la soirée, après celle de Phone Number. Et puis Then What et surtout Do Not Claim Them Anymore, avec son petit air à la Cure, terminent avec énergie un concert qui aura quand même duré 1h45 !
Je retiendrai personnellement de ce concert, seulement à demi-réussi à mon goût, la splendeur permanente des vocaux, qu’ils soient assurés par Jinte ou Maarten, ou bien par le groupe tout entier, dans un mélange ébouriffant de sonorités mâles et de cris aigus… Et je me dis qu’il va me falloir revoir très vite Balthazar pour rattraper cette légère frustration : ça tombe bien, ils seront à Rock en Seine fin août !
Texte et photos : Eric Debarnot
Les musiciens de Balthazar sur scène :
Maarten Devoldere (chant, guitare, clavier)
Jinte Deprez (chant, guitare)
Simon Casier (basse, chant)
Michiel Balcaen (batterie, chant)
+ musicien de tournée (guitare, clavier, violon, cuivres, chant)
La setlist du concert de Balthazar :
Roller Coaster (Fever – 2019)
The Boatman (Applause – 2010)
Sinking Ship (Rats – 2012)
Wrong Vibration (Fever – 2019)
Wrong Faces (Fever – 2019)
Decency (Thin Walls – 2015)
Grapefruit (Fever – 2019)
Whatchu Doin’ (Fever – 2019)
Phone Number (Fever – 2019)
The Oldest of Sisters (Rats – 2012)
Blood Like Wine (Applause – 2010)
Bunker (Thin Walls – 2015)
Changes (Fever – 2019)
I’m Never Gonna Let You Down Again (Fever – 2019)
Fever (Fever – 2019)
Entertainment (Fever – 2019)
Encore:
The Man Who Owns the Place (Rats – 2012)
Then What (Thin Walls – 2015)
Do Not Claim Them Anymore (Rats – 2012)