Sergio & Sergei nous offre une farce nostalgique sur les illusions perdues du communisme, à travers une amitié improbable entre un cosmonaute soviétique bloqué dans l’espace et un professeur cubain.
Découvert en France en 2015 avec le touchant Chala, une enfance cubaine, le réalisateur cubain s’appuie cette fois-ci sur une histoire vraie pour nourrir son troisième long métrage de fiction, Sergio & Sergei (Prix du Public au Cinelatino de Toulouse en 2018). L’auteur s’inspire de l’aventure réelle de Sergei Krikalev, un cosmonaute russe resté bloqué onze mois à bord de la station orbitale Mir qui était entrée en contact avec des radioamateurs de l’île de Cuba, au moment où les transformations politiques bouleversent les deux pays. Cette aventure extraordinaire avait déjà vu jour sous la forme d’un passionnant documentaire Out of the Present (1997) réalisé par Andrei Ujica, mais Ernesto Daranas Serrano s’en empare avec poésie pour nous offrir une fable humaniste.
Une succession judicieuse d’images d’archives inaugure le long métrage et plonge directement le spectateur dans l’épopée spatiale soviétique, avant qu’une douce voix vienne nous immerger au sein de l’histoire. Ce récit nous sera conté avec un brin d’ironie par le point de vue de Mariana, la fille de Sergio, professeur de philosophie marxiste (diplôme obtenu à Moscou) vivant de façon précaire au dernier étage d’un vieil immeuble avec sa mère et sa fille. Nous sommes en 1991 à la Havane, capitale et centre économique de l’île de Cuba, et le bloc de l’U.R.S.S se décompose de plus en plus, depuis la chute du « mur de la honte » à Berlin le 9 novembre 1989. Cet effondrement de l’union des républiques socialistes soviétiques engendre une importante crise économique et idéologique à Cuba et une grave crise politique en U.R.S.S. Ces évènements vont bouleverser le destin de plusieurs hommes et la caméra fluide du réalisateur va accompagner ces petites histoires par le prisme des dommages collatéraux provoqués la grande Histoire.
Cette comédie absurde va donc suivre plus particulièrement la mésaventure de Sergei et les difficultés de vie de Sergio ne pouvant plus donner assez des cours de marxisme à l’université. Deux pères de famille, deux naufragés se retrouvant coupés du monde depuis que le système s’effondre sous leurs pieds. Pour oublier les privations alimentaires, les difficultés économiques, les coupures d’électricité, Sergio s’évade en regardant vers le ciel depuis le toit de son immeuble en songeant au petit prince de l’espace, et se passionne pour les communications avec d’autres radioamateurs. Sergei lui, observe par le hublot la Terre en rêvant de s’échapper bientôt de sa prison spatiale pour retrouver sa femme et ses enfants. Deux regards, deux voix qui vont se croiser sur une même voie d’évasion.
Le réalisateur s’attache à décrire ces deux quotidiens en parallèle, avec empathie. Les difficultés de Sergio ne sont jamais plombés par la mise en scène. La caméra nous dépeint à travers de magnifiques plans aériens la ville de la Havane délabrée, mais toujours gorgée de luminosité solaire et de couleurs vives, mais également avec élégance et humour le quotidien de Sergio obligé pour survivre avec le marché noir en installant une distillerie clandestine sous son toit, pendant que sa mère se remet à la fabrication de cigares. La réalisation s’appuie sur cet aspect d’apesanteur pour évoquer la purge de Sergei, presque condamné à l’oubli au fin fond de la galaxie, alors qu’en bas les drapeaux changent. Jusqu’au jour où son cloître par le bonheur divin des ondes va émettre une voix perçue de la profondeur de l’autel de la Havane. Deux voix, deux hommes de bonnes fois vont par le truchement d’une technologie en plein développement finir par s’entendre, avant que les deux âmes fraternelles finissent par se découvrir, s’apprécier comme de bons vieux camarades.
Ernesto Daranas Serrano aborde cette crise sociale et politique avec le sourire, loin du militantisme, et s’autorise même l’introduction d’un secondaire personnage américain, devenu ami avec Sergio par les mêmes ondes radiophoniques. Ce troisième homme apporte un point de vue étranger en pleine « Guerre Froide » et permet au cinéaste de mieux pointer du doigt le système politique cubain anxiogène et ses autorités qui surveillent de manière grotesque toutes les communications radios entre les individus.
Avec une bonne musique et beaucoup de légerté, le réalisateur déploie une ode à la fraternité qui dépasse toutes les frontières géographiques, politiques, culturelles. Une fiction à l’esthétique soignée qui nous fait du bien à l’heure où de grands dirigeants ne voient l’autre qu’à travers des murs aux frontières fermées. Une attachante allégorique cinématographique dont l’utopie chorale résonne avec fraîcheur dans nos cœurs et rassérènent nos idéaux perdus.
Venez donc découvrir cette histoire vraie dont le traitement fictionnel renforce le symbole moral au sein de l’épatant Sergio & Sergei. Solidaire. Humaniste. Séduisant.
Sébastien Boully
Sergio & Sergei
Film cubain réalisé par Ernesto Daranas Serrano
Avec Tomas Cao, Hector Noas, Ron Perlman
Genre : Comédie
Durée : 1h33
Date de sortie : le 27 mars 2019