Comment aurais-je pu deviner que c’est dans le Bordelais que mon adolescence reviendrait du pays de la nostalgie? Guitares acérées, son lo-fi, esprit foutraque et je m’en foutiste, un soupçon de cynisme et une grosse dose de cool… Tout y est pour un Freakenstein qui s’installe direct dans mes albums de chevet pour 2019.
Tu te souviens peut-être, lecteur, du bonheur de faire irruption dans le salon familial avec tes passions musicales adolescentes? Quand tu as parlé du génie de Oasis, de Blur à tes parents dont tu ne savais pas encore qu’ils avaient déjà vécu l’époque des Kinks, the Jam et des Beatles.
Freakenstein est un disque idéal pour cette époque de fin d’adolescence, où on s’enflamme pour les disques qu’on écoute. Au moment précis de nos vies où un musicien à peine plus vieux que soi synthétise les passions, la fougue et les anxiétés d’une époque pour les transformer en un petit concentré d’énergie motrice. Ce moment dans la vie d’auditeur où les albums qu’on écoute semblent être des condensés de feelings écrits précisément pour raconter le ressenti de celui qui se l’approprie. Où ils prennent une importance vitale. Ca déborde de partout, de passions en cris de rage, c’est chargé de furie, de majeurs tendus contre l’avenir, et ça a l’esprit DIY qui sied à ce moment de la vie.
Rien que pour ça je pourrais déjà conclure à la nécessité que Freakenstein soit un des albums qu’on retrouvera dans les tops de fin d’année. Mais réjouis-toi lecteur il y a d’autres raisons de courir vers cet album.
Convoquer l’esprit des nineties
L’impression d’être devenu ce vieux con qui sourit devant l’enthousiasme de rejetons qui ont déboulé dans le salon familial en est une raison additionnelle. Il suffit de deux titres pour se rendre compte que Th da Freak convoque l’atmosphère et le son du début des années 90. En lisant quelques critiques de Freakenstein écrites par des vingtenaires, j’ai beaucoup vu de comparaisons avec Nirvana et le son grunge pour parler du nouvel album. Il y a un peu de ça.
Mais cette comparaison est diablement réductrice pour qui avait le casque vissé sur les oreilles pendant cette période du rock. Thoineau, (Th donc) se définit comme un slacker, et ça met la puce à l’oreille. Non content d’aller piocher dans la période qui a fabriqué la sensibilité musicale de votre serviteur, Th a eu la bonne idée de ne pas se contenter de l’aborder par la lorgnette Nirvanienne. Alors oui, il y a le son gras puissant, sale et distordu du grunge dans un grand nombre de titres de cet album resserré, posé sur des mélodies qui roulent plutôt façon album bleu de Weezer ou Nada surf, que vraiment à la mode de la bande à Cobain. Il y a les nerfs, le côté punk mais pas forcément la recherche des ecchymoses. Thoineau “le slacker “ pioche allègrement, aussi, dans le panthéon et l’esprit DIY de ce genre musical : il y a un peu de l’inanité des paroles et du côté chanté façon second degré des albums de Pavement. J’aime.
Puis Freakenstein mord la petite ligne de démarcation du début des 90 qui isolait le son en provenance des US de la musique anglo-Saxonne, quand la Grande Bretagne n’était plus le centre de la pop mais se rendait compte pourtant que le « gros son » venu d’Amérique serait une composante de la décennie. Th absorbe cette réflexion britannique en se moquant des lignes de frontières musicales : du son gras et des mélodies bien foutues, pas hurlées, plutôt pop, comme un bon bandwagonesque de Teenage fanclub, voire même un brin du shoegaze pré-britpop de Ride ou The Verve.
Un album qui pourtant s’inscrit dans l’air du temps
Th da Freak réussit un album qui s’installe en 2019, façonne le son de 2019, parce qu’il arrive à aller au delà de l’hommage ou de « l’inspiration 90’s » gimmick de la mode qui commence à prendre ses quartiers musicaux pour une génération émergente de groupes à guitares. Plus qu’une inspiration grunge à proprement parler, Th da Freak arrive à se nourrir d’éléments multiples et variés d’une époque musicale où la notion de “courant” et d’étiquettes avait encore du sens. Il rapproche ces éléments. On aurait crié au crime de lèse-majesté à l’époque. Le tour de force de 2019 consistant à s’en affranchir pour brasser le tout dans une relecture moderniste. Efficace, directe, concentrée, addictive.
Cerise sur le pompon, l’animal qui chante dans un anglais impeccable servi avec son jus lo-fi est… bordelais. Raison ultime et “cocoricotante” de courir écouter ce disque paru en mars 2019. A noter, une brise positive de rumeurs signale que le groupe, Sylvain, Rafael, Julien, Benjamin, monté pour la scène autour de Th arrive à encore bonifier l’expérience: la moindre des politesses à rendre aux influences.
Mon premier coup de cœur de 2019 est donc un disque qui jette un pont entre l’écume de ma jeunesse rock, la propension des musiciens de cette fin de seconde décennie à détourner les codes musicaux du passé, et la facilité du monde contemporain à brasser en un joyeux brouet, des dizaines de références parfois assez éloignées entre-elles. Well done.
Denis Verloes
Th da Freak – Freakenstein
Label : Howlin banana records
Date de sortie : 9 mars 2019