Contre toute attente, après un démarrage très poussif, la série de prestige de chez Amazon Prime, The Man In the High Castle (Le Maître du Haut Château), est en train de devenir une vraie réussite.
Liquidons tout de suite le débat – inutile – sur le respect du chef d’œuvre uchronique de Philip K. Dick, le Maître du Haut-Château : bien entendu, le livre ne sert que de point de départ, l’utilisation de l’univers paradoxal créé par Dick dans lequel les forces de l’Axe ont gagné la Seconde Guerre Mondiale (et de quelques-uns des personnages du livre) servant seulement de point de départ de la première saison, par ailleurs très peu convaincante ! Et là n’était d’ailleurs pas le problème de cette « fameuse » première saison qui avait découragé bien des téléspectateurs, les adaptations fidèles de Dick se comptant de toute manière sur les doigts intacts d’une main mutilée : c’était avant tout la faiblesse de l’interprétation – les trois personnages principaux, au comportement largement incohérent, peinaient à nous convaincre – et le vide d’un scénario qui ne savait pas trop quoi faire des préceptes de base de la fiction, qui étaient responsable de ce semi-désastre…
La seconde saison s’avéra cependant une excellente surprise, nous gagnant à sa cause en plaçant d’abord l’excellent Rufus Sewell au centre de l’arc narratif le plus intéressant (les dilemmes moraux et surtout familiaux posés par l’ascension de l’Obergruppenführer John Smith au sein du Reich), puis en nous offrant une dernière partie réellement bluffante qui nous faisait visiter les arcanes du pouvoir à Berlin et nous faisait rencontrer « physiquement » les monstres mythiques du IIIème Reich.
Dans la droite ligne de la seconde saison, nous retrouvons donc les protagonistes de la série affrontant les conséquences dramatiques de leurs actions : Frank Frink est traqué dans la Zone Neutre par les services secrets nippons bien déterminés à lui faire payer l’attentat meurtrier de San Francisco, Joe Blake est entraîné à la suite de son père dans les geôles nazies d’où il sortira transformé, Juliana Crain assume enfin son destin tel qu’il est écrit dans les films que le Maître du Haut Château lui a révélés, l’Obergruppenführer John Smith continue son ascension politique, ce qui l’oblige à gérer et le chagrin familial suite à la disparition de son fils et les crimes commis pour le protéger, tandis que Tagomi est rongé par les doutes que sa faculté à « voyager » a fait naître en lui, alors même qu’il affronte politiquement les Nazis dans une situation économiquement et militairement difficile pour le Japon. Soit de quoi richement alimenter dix nouveaux épisodes qui explorent plus profondément de nouveaux aspects de l’uchronie imaginée par Dick : des chasseurs de juifs aux trafiquants de memorabilia américaine, des tueurs du Reich au cerveau préalablement lavé à ses propagandistes qui réécrivent en permanence le passé, il y a amplement de quoi se régaler, pour peu qu’on aime jongler avec les concepts historiques et les faire fonctionner dans un contexte imaginaire.
Mais c’est lorsque les Nazis entreprennent la destruction spectaculaire des symboles du passé des Etats-Unis (statue de Lincoln, cloche de la Philadelphie, figures du Mont Rushmore, et puis, couronnement de la saison, la statue de la Liberté elle-même), la série atteint un beau paroxysme qu’on ne l’aurait jamais cru capable de générer à ses piètres débuts. Et justifie enfin pleinement son existence… L’aspect purement S.F. monte lui aussi en puissance, les scénaristes se concentrant sur le thème des mondes parallèles et de la possibilité de passer de l’un à l’autre (ce qui est, rappelons-le quand même, complètement étranger à l’univers de Dick, qui construisit la plupart de ses fictions sur l’incertitude de la réalité et les vertiges existentiels conséquents…), ce qui nous donne une conclusion certes un peu plus puérilement spectaculaire (le tunnel dans la mine, le départ de Juliana…), mais fort excitante.
La conjugaison et l’alternance de ces deux axes principaux – la « réflexion » politique avec l’uchronie qui confronte ce que nous savons – ou croyons savoir – de l’essence des Etats-Unis à deux systèmes totalitaires différents, et le pur divertissement basé sur un sujet « SF hardcore » classique – contribuent clairement à la singularité de ce Maître du Haut Château, qui se révèle donc à la longue plus ambitieuse, et plus réussie, que prévu.
Eric Debarnot