Grosse cote d’amour au Point Ephémère pour Cherry Glazerr, qui peut néanmoins décevoir en ayant mis de l’eau dans son radicalisme…
Ce n’est pas peu dire que j’attendais beaucoup de ce set de Cherry Glazerr, sans doute l’une des jeunes artistes (je veux parler de Clementine Creevy, la chanteuse – guitariste – autrice, les autres membres paraissant complètement interchangeables et d’une durée de vie très limitée au sein du groupe…) les plus passionnantes du moment. Entre une apparition mémorable dans la belle série “Transparent” et un morceau composé pour une campagne d’Yves Saint Laurent, Clementine a acquis une visibilité “arty” certaine, que l’on peut d’ailleurs trouver un tantinet décalée par rapport à ses textes féroces et cyniques, anticonsuméristes et féministes. Bon, la vieille contradiction inhérente à être une artiste punk et douée à la fois… Qui plus est, on m’avait parlé de sets féroces, où la jeune femme se laissait emporter par une frénésie sauvage devenue rare de nos jours…
Pas grand monde à l’ouverture des portes du Point Ephémère ce soir, mais nul besoin de se préoccuper, les fans de Cherry Glazerr vont arriver en masse, dès la fin de la première partie ! Et ils n’auront pas eu tort, car Flèche, trio français proposant une musique énergique et complexe, va s’avérer tout bonnement l’une des plus dispensables expériences que nous ayons subies depuis longtemps. Entre des vocaux horribles et une incapacité des musiciens à jouer un minimum ensemble, ces trente premières minutes de la soirée seront bien éprouvantes. L’enthousiasme sur scène est indéniable, et est forcément sympathique, mais soit la musique qu’ils essaient de jouer est trop ambitieuse pour eux, soit vraiment ces trois musiciens ne devraient pas être ensemble, car ce qu’ils font dans Flèche n’est tout simplement pas bon.
A 21h30, le niveau d’excitation dans la salle est devenu palpable, et on sent déjà que ça va remuer ce soir, comme il se doit dans un vrai concert de punk rock réussi. Cherry Glazerr est redevenu un trio, depuis l’éviction en 2018 de la claviériste : un batteur jovial à la frappe très, très lourde sur la gauche, juste en face de nous, Clementine au milieu derrière un double micro qui laisse présager un traitement synthétique des vocaux, et une bassiste assez impressionnante sur la droite. On pourrait se demander si ce format réduit peut reproduire les morceaux plus complexes, vaguement new wave par instants du dernier album, “Stuffed & Ready”, mais l’habileté dont Clementine va faire preuve à la guitare nous rassurera immédiatement quant à la texture sonore.
Comme sur l’album, c’est Ohio qui ouvre la danse, et, comme on pouvait le craindre, le chant de Clementine est quasi inaudible au premier rang : d’abord la voix de notre “icone féministe punk milléniale” (comme la qualifie les journalistes fainéants…) est quand même des plus limitées – on est plus dans le registre des voix de femmes-enfants qui faisait tripper Gainsbourg que dans celui des grandes furies punks ! -, et ensuite la balance est loin d’être parfaite. Cela s’améliorera un peu, mais l’on pourra aussi déplorer que le traitement électronique fréquent des vocaux les artificialisent excessivement. Non pas que ce problème en soit un pour les fans de Clementine, qui ont tous l’air totalement enamourés autour de nous, lançant leurs bras en l’air dans une extase quasi religieuse, et se percutant dans le mosh pit les yeux remplis de bonheur… Bon, Clementine, ex brune et punkette hostile, a désormais opté pour une longue chevelure blonde et un look jaune canari de jeune américaine middle-class (hormis les boots qui déparent avec la salopette jaune…) : s’agit-il d’un “political statement”, ou bien Clementine est-elle rentrée dans les rangs (…ce qui n’aurait rien de honteux, entendons-nous bien !) ?
Self Explained est présenté comme la chanson qu’elle préfère jouer, mais, au-delà de son texte très personnel et finalement assez introspectif, on ne peut pas dire qu’il se passe encore grand-chose sur scène (nous ne commenterons pas la présence dans le fond de gigantesques cerises gonflables ou la projection d’images anodines…). Le batteur frappe (trop) fort, la bassiste fait du bon boulot mais est invisible à l’extérieur du cercle des projecteurs, et Clementine nous gratifie régulièrement de petites grimaces et sourires déviants, sans pour autant nous convaincre… Il faudra attendre la version “metal” (si l’on en croit la set list) de Teenage Girl pour que quelque chose lâche enfin, et que le concert entre dans l’hystérie attendue. A partir de là, la folie s’est installée dans la fosse, et ça fait du bien de se laisser aller : l’enchaînement Distressor (où enfin le chant de Clementine se fait agressif) / Daddi / Stupid Fish permet au set de prendre de la hauteur, et autour de nous, ce ne sont que larmes de joies et cris d’extase. Clementine descend au milieu de ses adorateurs pour un petit tour, quand même assez rapide.
Le rappel démarre assez paradoxalement par un morceau électro-disco (je découvrirai en lisant la setlist qu’il s’agit d’une reprise de LCD Soundsystem), alors qu’on aurait bien préféré un bon punk rock qui nous aurait achevés, et c’est Told You I’d Be with the Guys qui jouera ce rôle et conclura cette heure et cinq minutes d’un concert plaisant, excitant par moments – surtout dans sa dernière partie – mais un peu en deçà de nos attentes (démesurées ?). Nul doute néanmoins que les fans ont été ravis, quant à eux, de la prestation de leur idole…
Texte et photos : Eric Debarnot
La setlist du concert de Cherry Glazerr :
Ohio (Stuffed & Ready – 2019)
Had Ten Dollaz (Had Ten Dollaz EP – 2014)
That’s Not My Real Life (Stuffed & Ready – 2019)
Self Explained (Stuffed & Ready – 2019)
Nurse Ratched (Apocalipstick – 2017)
White’s Not My Color This Evening (Haxel Pricess – 2014)
Trash People (Apocalipstick – 2017)
Juicy Socks (Stuffed & Ready – 2019)
Grilled Cheese (Papa Cremp EP – 2013)
Teenage Girl (Papa Cremp EP – 2013)
Metal Teenage Girl
Wasted Nun (Stuffed & Ready – 2019)
Distressor (Stuffed & Ready – 2019)
Daddi (Stuffed & Ready – 2019)
Stupid Fish (Stuffed & Ready – 2019)
Apocalipstick (Apocalipstick – 2017)
Sip O’ Poison (Apocalipstick – 2017)
Encore :
Time to Get Away (LCD Soundsystem cover)
Told You I’d Be with the Guys (Apocalipstick – 2017)