L’écrivain japonais poursuit inlassablement son travail d’introspection et d’interrogation d’un irréel qui rôde toujours plus proche de nous, mais questionne cette fois la création artistique. Le Meurtre du Commandeur serait-il l’un de ses livres les plus personnels ?
En apparence, avec ce premier livre du Meurtre du Commandeur, Haruki Murakami poursuit sans dévier d’un pouce sa trajectoire littéraire, répétant dans un nouvel univers aussi original que doucement onirique, ses éternelles fictions fantastiques où un homme – alter ego quasi immuable de l’auteur – se laisse emporter sans trop réagir, ni trop y penser d’ailleurs, dans un tourbillon silencieux de situations de plus en plus étranges, mais qui font écho à / nourrissent aussi bien son inconscient que sa quête personnelle (ici plus nostalgique que jamais).
Si l’on retrouve une atmosphère proche de celle du fameux Kafka sur le Rivage, nous avons droit cette fois à une idée qui sort d’une sorte de tombe bouddhiste en agitant une clochette et se matérialise sous la forme d’un personnage de tableau, à ce même tableau représentant secrètement un attentat effacé de l’histoire nazie, à un voisin mystérieux et donc fascinant dont les mobiles sont pour le moins troubles… et à l’éternelle valse des amantes sensuelles et des amours déçus… Le tout conté avec ce détachement patient tellement irritant pour les détracteurs de Murakami, qui y voient de la fadeur, quand les amoureux de ses livres y trouvent de la légèreté et de l’élégance.
Pourtant quelque chose change ici : apparaît (non seulement mais une idée, mais…) une sorte de pesanteur inédite, qui leste de manière surprenante certaines péripéties du Meurtre du Commandeur : la tentation du crime, la possibilité d’une véritable épouvante, et surtout, au cœur de la fiction, le tourment du processus de création artistique, qui offre les meilleurs passages du livre, les plus fascinants et sans doute les plus personnels. Car, même s’il s’agit ici de peinture, comment ne pas voir un autoportrait sans complaisance de l’écrivain, qui juge s’être laissé emporter par la facilité d’un art « alimentaire », et qui tente de retrouver une sorte de vérité du geste artistique, qui donnera naissance à une vérité de l’œuvre ? Tout cela est passionnant, parce qu’on sent que Murakami essaie de se rapprocher, sous les oripeaux du conte fantastique qu’il manie toujours aussi brillamment, de l’essence même de son travail : comment donner la vie à une représentation qui ne soit pas un simple tour de force technique ?
On espère donc que le second livre sera aussi riche, aussi efficace narrativement et complexe émotionnellement que celui-ci. Si c’est le cas, ce Meurtre du Commandeur pourrait bien rejoindre les tous meilleurs livres de l’auteur.
Eric Debarnot
Le Meurtre du Commandeur Livre 1 – Une Idée Apparaît
Roman japonais de Haruki Murakami
455 pages – 23,90€
Editeur : Belfond
Date de parution en France : 11 octobre 2018