Un homme et son chien, seuls face à la nature. Un drôle de jeu de rôles, sans paroles, aussi fascinant que déjanté, qui vient stimuler notre instinct primal en alliant burlesque et sauvagerie.
Un peu à la façon d’un jeu vidéo, cet album nous plonge avec jubilation dans un univers sauvage et impitoyable. Un trappeur, vivant avec son chien au cœur d’une nature primitive, doit pour survivre faire face à toutes sortes de prédateurs étranges et monstrueux, dinosaures sans yeux, félins-cyclopes… Et pour cela, quoi de mieux que rentrer dans leur peau ?
Tel un OVNI venu du fond des âges, Trap intrigue d’abord par sa couverture. Un homme, portant en guide de couvre-chef une tête de phacochère, est entouré avec son drôle de chien bleu par un groupe de créatures diverses, à la fois bizarres et familières, toutes regardant dans des directions différentes. Rien de menaçant dans ce curieux portrait de groupe, au contraire. Tous ces personnages, l’humain compris, dégagent un comique sous-jacent, de par leur difformité ou leur regard vide, ou les deux en même temps.
A en juger par la couverture souple, au format comics, on peut douter que Mathieu Burniat ait cherché à se prendre au sérieux. Et l’air de rien, malgré les apparences, l’objet est séduisant avec ses touches de vernis sélectif et sa jaquette amovible, laquelle une fois retirée, dévoile des motifs aléatoires évoquant un fatras de fourrures animales, de branchages et de pierres, le tout dans un rouge uni éclatant…On ne se plaindra non plus pas du trait si particulier de Burniat, trait dont les rondeurs habituelles ont été comme électrisées par le rythme du récit, totalement en accord avec la mise en page virevoltante et les couleurs quasi-psychédéliques.
L’histoire quant à elle est totalement raccord avec cette couverture. Originale, fascinante, insolite, drôle et surprenante, elle semble avoir été conçue à l’instinct, ce qui au regard de la thématique paraît assez logique. D’emblée, les pages se tournent sans que ne pointe l’ennui, tant le lecteur est intrigué par ce drôle de récit, quasi expérimental, et la raison n’est pas seulement liée au fait qu’il n’y ait pas de textes. Hormis d’obscures tentatives oubapéennes révélant une certaine prétention élitiste dénuée d’humour, Trap ne doit pas avoir beaucoup d’équivalents dans le neuvième art. C’est ainsi que l’on observe ce drôle d’humain à gros nez évoluer dans ce monde primitif. Muni d’un sac renfermant des masques de bêtes qui lui confèrent les pouvoirs de l’animal dès lors qu’il les met sur la tête, notre homme, accompagné d’un chien bleu à l’aura à peine plus impressionnante que celle de Rantanplan, se fait super-héros préhistorique, et nous laisse la plupart du temps interloqué et amusé.
Si l’ouvrage se lit évidemment vite, dans quelques cas – rares heureusement -, on peut avoir du mal à percuter avec certaines scènes. Mais l’ensemble est tellement bizarre, car c’est aussi ça qui est bon, que l’on en oublie ces petits défauts, et l’on pourra bien faire montre d’indulgence étant donné la difficulté du challenge consistant à produire une histoire sans paroles. Trap, c’est du primal délesté des blablas. Trap, c’est le retour à la vie sauvage, l’appropriation de l’instinct animal doublée de lycanthropie, la pure bagarre pour la survie, la grisante adrénaline, l’odeur dangereusement enivrante du sang, le catch frénétique jusqu’à la giclure finale de la sève vitale adverse, mais aussi la sensation voluptueuse des peaux de bête sur nos corps nus et larvaires. Trap, c’est tout cela avec un doigt de chamanisme et c’est follement bon…
Ce petit thriller préhisto-psychédélique est donc une belle surprise. Et quand on sait que son auteur manifeste de l’intérêt pour la physique quantique (Le Mystère du monde quantique), l’objet prend forcément une autre dimension. Il appartiendra au lecteur d’y trouver des connections…
Laurent Proudhon
Trap
Scénario & dessin : Mathieu Burniat
Editeur : Dargaud
180 pages – 13 €
Parution : 25 janvier 2019