7 ans ! Cela faisait 7 ans que Art Brut avait disparu des radars et de nos vies… quand ils réapparurent fin 2018 avec un album réjouissant, qui les voyait revenir à l’enthousiasmante énergie proto-punk de leurs débuts…
Nous étions tous impatients de les revoir en live, car il faut bien dire qu’ils furent, entre 2005 et 2011, l’une des expériences scéniques les plus réjouissantes qui soient, avec ce mélange inédit et hautement instable de Punk-Rock franc du collier et d’humour – anglais bien entendu – souvent déchirant. Je dis “tous”, mais même une salle de la taille bien raisonnable de notre cher Petit Bain – l’une des plus agréables de Paris, il faut le dire et le redire – a peiné à se remplir avec les seuls fans du groupe…
D’où le choix d’une première partie qui serait plus qu’une première partie, et la programmation des Olivensteins, vétérans rouennais du Punk-Roc français des origines, capables de ramener eux aussi leur public.
A 19h45, l’inénarrable Gilles Tandy et son band de papy rockers débarquent, et leurs fans crient bien fort leur allégresse. J’écris “inénarrable” car les Olivensteins ne sont vraiment pas ma tasse de thé, ni mon verre de bière d’ailleurs… Et je vais avoir du mal à faire un compte-rendu un tant soit peu positif de ce groupe qui n’est pas seulement has been en 2019 – ce qui est logique, et même assez sympathique – mais qui l’était déjà, has been, en 1977. L’honnêteté me pousse néanmoins à avouer que les spectateurs du Petit Bain ont en grande partie aimé ce set, par ailleurs fort énergique, et qui a bénéficié des compétences techniques de musiciens tout-à-fait convaincants (et même assez professionnels, malgré l’affirmation de Tandy après le démarrage raté d’un morceau) : je dois reconnaître que j’ai tué le temps agréablement lors de cette heure de concert – littéralement interminable – en me concentrant sur le jeu élégant du guitariste. Pour le reste, j’ai du mal à adhérer au mythe des “Olivensteins” en écoutant cette succession de morceaux au ras du bitume, évoquant souvent plus le Rock français pré-punk, justement, quand, dans les années 70, nous étions, nous Français, la risée du monde. Le pire reste néanmoins le mauvais humour soi-disant provocateur de Tandy, qui en avait particulièrement ce soir-là après Notre Dame, comme le plus réac des manifestants sur nos ronds-points. Et puis gueuler « Je suis fier de ne rien faire / Fier de ne savoir rien faire » quand on est dans la soixantaine, c’est quand même un peu limite, non ?
C’est un fait bien connu, mais que j’aime à me remémorer régulièrement : la supériorité de l’humour anglais sur l’humour français (« hein, quel humour français ? », entends-je autour de moi…), c’est que la cible en est soi-même et non les autres. L’auto-dérision, la capacité à s’exposer avec toutes ses faiblesses et ses tares, de manière drôle, voilà la force du meilleur humour : c’est aussi la meilleure manière de définir l’incroyable talent d’Eddie Argos, leader toujours aussi charismatique – et charmant, il faut le souligner – de Art Brut.
Il est à peu près 21 heures quand la nouvelle formation du groupe, désormais basé à Berlin, monte sur la scène qui tangue du bateau le plus Rock de Paris.
Nouveau guitariste, au look curieusement “Turbonegro”, et nouveau batteur, sinon Eddie et Ian ont surtout pris du poids – comme nous, comme nous – en 7 ans, et le bassiste – qu’on me dit être le même que naguère – a aussi radicalement changé de style. Un son impeccable, toujours aussi clair et puissant, laissant heureusement malgré les décibels, la voix d’Eddie bien audible. « Look at us, we formed a band / We’re gonna be the band that writes the song / That makes Israel and Palestine get along » : Formed a Band reste toujours la meilleure introduction qu’un groupe ait jamais écrite et jouée, l’équilibre idéal entre auto-dérision et espoir inaltérable en la force du Rock’n’Roll. Et rassurez-vous, Eddie Argos ne chante toujours pas, il ne fait toujours que parler : les fondamentaux du groupe n’ont pas changé !
Et puis c’est My Little Brother, vous savez cette chanson – immense – qu’Eddie a écrite à propos de son petit frère qui est « out of control » parce qu’il a « découvert le Rock’n’Roll » C’est l’occasion parfaite pour Eddie de suspendre (déjà !) les hostilités musicales pour faire le point sur sa carrière : après nous avoir rappelé que c’est toujours lui, Eddie, et non son petit frère (« casé, bon job, maison sur la plage…« ) qui est le grand souci de ses parents, il nous donne la recette de l’échec : « former un groupe culte, qui remplit la moitié d’un bateau à Paris, mais ne peut absolument pas vivre de sa musique », et puis, « pendant 7 ans, ne publier AUCUN album ! ». Et Eddie de nous raconter les coups de téléphone de sa mère angoissée : « Elle a entendu les Sleaford Mods, et elle me dit : “Eddie, pendant que tu n’es pas là, ces gens-là, te volent ta place, ils font la même musique que toi !”. Je lui réponds : ”Maman, je ne sais pas faire ce genre de musique, je suis trop middle-class !”. Et il faut que je fasse gaffe à ce que je dis, au cas où Jason Williamson serait dans la salle. Même chose avec IDLES, elle m’appelle au téléphone : “Eddie, quand est-ce que tu sors un album, les types d’IDLES, ils te volent ton succès !”… etc… etc… Eddie nous prévient : « J’ai prévu de parler comme ça pendant 40 minutes » pendant que les musiciens font semblant de s’ennuyer à mourir. Et ça repart sur les chapeaux de roue… Oui, on ne nous a pas changé notre Art Brut ! Et, personnellement, entouré comme je l’étais au premier rang de fans éperdus d’Eddie, qui connaissent tous les textes et sont là pour dialoguer avec lui, je vais vous dire : les kilos en trop d’Eddie, eh bien, c’est exactement ce qu’il lui fallait, il est encore plus adorable comme ça !
Bon, même si j’ai très envie de le faire, je ne vais pas vous raconter chaque morceau de la soirée, comment le percutant Hospital! (avec l’excellent : « They tried to make me go to rehab / And I said… That’s probably a very good idea ») repompe fièrement un riff des Undertones, comment Eddie a demandé à une fan derrière moi de traduire puis de chanter en français la fameuse phrase de Alcoholics Unanimous : « Took me ages to get dressed this morning », comment ils nous ont joué une version furieuse de 18,000 Liras en bonus-cadeau non prévu, comment Eddie s’est lamenté : « Qui aurait cru que Morrissey devienne en vieillissant un connard de droite ! »… Ni comment Eddie a remercié le Rock’n’Roll de lui a voir ramené son amie Emily Kane, après le (relatif) succès de sa bouleversante chanson sur son premier amour…
Mais je ne peux pas ne pas vous dire combien a été douce la folie générale quand elle a fini par exploser – peut-être un peu tard, mais bon, on a tous pris un léger coup de vieux – sur le formidable Wham! Bang! Pow! Let’s Rock Out! : « Your girlfriends, we’re gonna steal them / And leave footprints on the ceiling / I want to wake up smelling like smoke / Under a pile of strangers’ coats / Wham! Bang! Pow! Let’s rock out! / There’s a fire in my soul, I can’t put it out !!! ». Et on gueulait tous en chœur comme de vieux hooligans éméchés dans les rues de Berlin : « Il y a un p… de feu dans mon âme, et je n’arrive pas à l’éteindre ! ». Rock’n’roll !
Le coup du faux rappel reste une franche partie de rigolade. Eddie dirige les opérations : « On va faire simple, on ne va pas sortir de scène, on va juste se baisser, et vous allez faire semblant qu’on n’est pas là, et devenir fous pour qu’on revienne sur scène, alors on va se relever et on va jouer le rappel ! ». Et c’est exactement ce qu’on fait tous, et c’est tout simplement parfait.
Et puis ils reviennent une seconde fois pour l’incontournable déclaration d’intention, et aussi d’amour à la peinture : Modern Art. Eddie nous demande de penser très fort à l’œuvre d’Art que nous préférons pour bien chanter avec lui « Modern Art / Make me / Want to rock out !! ». Et voilà, presque une heure et demi de « cabaret punk », comme dit Eddie, une heure et demi de rock’n’roll et de générosité, d’intelligence et d’humour. Une heure et demi qui fait chaud au cœur, mais n’a pas calmé ce feu qui brûle en nous.
Je retrouve Eddie au stand de merchandising, où il essaie piteusement de donner un coup de main pour vendre ses vinyles et ses t-shirts. Il n’y arrive pas bien, alors je le rassure : Eddie, c’est bon, tu as déjà fait ton job, ce soir. Car Eddie, je l’aime, en fait.
Texte et photos : Eric Debarnot
Les musiciens de Art Brut sur scène :
Eddie Argos – vocals
Ian Catskilkin – guitar
Toby MacFarlaine – guitar
Freddy Feedback – bass guitar
Charlie Layton – drums
La setlist du concert de Art Brut :
Formed a Band (Bang Bang Rock & Roll – 2005)
My Little Brother (Bang Bang Rock & Roll – 2005)
She Kissed Me (And It Felt Like a Hit) (Wham! Bang! Pow! Let’s Rock Out! – 2018)
Hospital! (Wham! Bang! Pow! Let’s Rock Out! – 2018)
Alcoholics Unanimous (Art Brut vs. Satan – 2009)
St. Pauli (It’s a Bit Complicated – 2007)
Axl Rose (Brilliant! Tragic! – 2011)
Kultfigur (Wham! Bang! Pow! Let’s Rock Out! – 2018)
18,000 Lira (Bang Bang Rock & Roll – 2005)
Too Clever (Wham! Bang! Pow! Let’s Rock Out! – 2018)
Direct Hit (It’s a Bit Complicated – 2007)
Arizona Bay (Art Brut Top of the Pops – 2013)
Emily Kane (Bang Bang Rock & Roll – 2005)
Wham! Bang! Pow! Let’s Rock Out! (Wham! Bang! Pow! Let’s Rock Out! – 2018)
Encore:
Hooray! (Wham! Bang! Pow! Let’s Rock Out! – 2018)
Bad Weekend (Bang Bang Rock & Roll – 2005)
Post Soothing Out (It’s a Bit Complicated – 2007)
Encore 2:
Modern Art (Bang Bang Rock & Roll – 2005)