Dans un siècle, les Parisiens seront cloîtrés chez eux et préféreront la téléportation… Le portrait angoissant d’un Paris sans voitures, mais saturé de drones de surveillance. Un thriller SF signé Zep et Bertail.
Dans cent ans, que sera la vie dans la capitale de l’Hexagone ? Avec ce thriller en apparence lisse et pourtant assez sombre, Zep et Dominique Bertail nous donnent à voir un Paris peu avenant où il ne fait pas bon être poète, où le simple fait d’apprécier les balades à pied et de humer l’air ambiant fait de vous un rebelle. Avec ses doigts d’honneur adressés aux caméras de surveillance, Tristan Keys l’apprendra à ses dépends…
Depuis quelques années, le créateur de Titeuf semble avoir pris goût à l’écriture de scenarii plus adultes. Cela s’est traduit par la publication ces dernières années d’œuvres dites « sérieuses », en confiant parfois les pinceaux à un autre que lui, comme pour Esmera où Vince avait réalisé le dessin. De façon fort légitime, Zep aspire à obtenir la reconnaissance critique et publique qu’il avait déjà avec ses plus jeunes lecteurs, comme un nouveau challenge sans doute… Jusqu’à présent, on ne peut pas dire que ces tentatives aient soulevé l’enthousiasme, même si l’accueil pour des ouvrages comme Une histoire d’hommes ou Un bruit étrange et beau est resté plutôt positif, avec des réactions allant du mitigé au sympathique. Poli, donc, ce qui parfois peut s’avérer pire qu’une descente en flammes.
Et il n’est pas certain que ce Paris 2119 change la donne. De nouveau, Zep nous livre matière à réflexion avec une thématique digne d’intérêt. Mais c’est la première fois qu’il aborde le registre de la science fiction, ou pour être plus précis, de l’anticipation. Comme le titre l’indique, ce récit nous transporte dans un Paris du futur, qui n’a guère changé dans son aspect mais semble particulièrement dépeuplé, et pour cause… Cloîtrés chez eux, les habitants ne déplacent plus que de façon virtuelle grâce au Transcore, ne se donnant même plus la peine de prendre le métro ! Ceux qui refusent de se soumettre aux diktats de cette société high-tech et déshumanisée passent pour de dangereux rebelles menaçant l’ordre établi. Tristan Keys en fait partie, par le simple fait qu’il apprécie les promenades « physiques » dans la capitale française et l’odeur de son métro, obligé pour cela de franchir les multiples bornes de reconnaissance faciale et de supporter l’omniprésence des drones de surveillance. Notre héros découvrira par hasard que derrière le prodige des voyages virtuels, ce qui se trame n’est rien de moins que la disparition de l’humanité…
Comme la plupart des récits d’anticipation, Zep a fait le choix de la dystopie, et l’effrayante réalité décrite ne paraît pas si invraisemblable. En cela, il nous met en garde sur les risques du tout technologique, nous invitant à prendre le temps de la réflexion, hors de nos écrans et de nos GPS si commodes. Ce thriller reste en soi assez captivant malgré certains raccourcis narratifs faciles et quelques ficelles un peu trop voyantes, comme l’emprunt à l’univers de Bladerunner, d’un point de vue tant graphique que scénaristique. D’ailleurs, le dessin reflète bien d’une certaine manière la teneur de l’entreprise. Bertail fait le job, entre académisme de bon aloi et influences de Bilal ou Moebius, mais sans réellement affirmer un style propre. En résumé, l’auteur suisse pose les bonnes questions mais y répond de façon trop superficielle, en mettant en scène des personnages un peu caricaturaux, échouant à faire de Paris 2119 une œuvre vraiment marquante. Et ce n’est pas la pirouette scénaristique à la fin qui contredira cette impression. Bien sûr, on pourra toujours rester indulgent en mettant cela sur le compte d’un format trop court (80 pages), encore que…
Si louables soient les intentions de Zep, il ne parvient donc pas à nous surprendre outre-mesure avec cet opus qui comportait pourtant un certain potentiel. Et le lecteur de rester sur sa faim, un rien déçu par le manque de souffle et d’âme du projet.
Laurent Proudhon
Paris 2119
Scénario : Zep
Dessin : Dominique Bertail
Editeur : Rue de Sèvres
80 pages – 17 €
Parution : 23 janvier 2019