Faute de n’avoir pas pu assister à son concert sold out la veille à la Maro, il fallait faire le déplacement jusqu’à Orléans pour pouvoir célébrer la voix sublime de Natalie Mering à l’Astrolabe…
S’il est bien en 2019 une artiste dont on parle, dont on se susurre le nom comme un mantra entre gens de bon goût, c’est bien Natalie Mering (alias Weyes Blood), jeune autrice-compositrice californienne apparue il y a quelques années en folk-singer évoquant un peu Joni Mitchell, et aujourd’hui passée, avec son nouvel album Titanic Rising, à une musique beaucoup plus complexe et orchestrée, très ambitieuse, dans la lignée de ce que faisait une Kate Bush par exemple. N’avoir pas pu l‘écouter et la voir sur la scène de la Maroquinerie la veille m’obligeait donc à faire le trajet vers Orléans pour ne pas manquer son passage dans la très jolie et très sympathique salle de l’Astrolabe.
21h00 : les hostilités commencent avec un musicien nantais, Vincent Dupas, qui joue en format trio, une musique singulière… et tout bonnement superbe ! Le set débute comme un concert de Lambchop : c’est le nom qui me vient immédiatement à l’esprit, devant cette musique discrète, profonde mais aussi merveilleusement claire – quelques notes de guitare électrique posées sur une rythmique souple et précise, sur lesquelles une belle voix vient créer un précieux sentiment d’intimité… Jusqu’à ce que déboule un solo de guitare tout en angles et en déchirures, qui conclut la chanson sur un mode noisy étonnant (mais finalement logique…). Wouaouh ! Et le concert va continuer ainsi, principalement composé de morceaux calmes, à la limite du minimalisme (mais sans que ce minimalisme ne s’apparente le moins du monde à une pose d’artiste, juste une évidence…), mais se laissant aller parfois à une accélération électrique libératrice. Jusqu’à un dernier morceau très rock, hypnotique, superbement répétitif, basculant dans l’orgie bruitiste, qui fait un bien immense, et qui conclut 45 minutes d’une première partie exemplaire. Si personnellement l’alternance de textes en français et en anglais me gêne un peu – pourquoi ne pas choisir l’une des deux langues afin de donner plus de cohérence à l’ensemble ? -, la puissance de la musique de Vincent Dupas, lorsqu’elle s’aventure dans des territoires plus Rock, est indéniable et constitue un beau contrepied aux atmosphères intimistes qui restent le cœur frémissant de sa musique. Et le tout caractérise un jeune compositeur talentueux, qu’il faudra désormais suivre.
22h15 : changement complet et rapide du matériel (la taille de la scène dans la petite salle de L’Astrolabe ne permet guère de stocker le matériel de deux groupes…) et Natalie Mering est là, vêtue d’une manière très élégante, et assez formelle, d’un ensemble blanc un peu seventies. Elle est entourée de quatre musiciens qui constituent Weyes Blood : une bassiste souriante, qui a aussi la charge des backing vocals – tâche dont elle s’acquitte brillamment -, un guitariste un peu exilé tout à gauche dans l’obscurité, du fait de la configuration arrondie de la scène, mais qui œuvrera à la construction des atmosphères complexes de Titanic Rising, un claviériste tout à droite, et un batteur au centre. Natalie, elle, alternera entre guitare acoustique et claviers, mais se concentrera principalement sur son chant. Et quel chant ! Dès les premières mesures de A Lot’s Gonna Change, il est impossible de ne pas être saisi par la beauté de cette voix, qui se tient sur le fil d’une véritable perfection technique sans jamais aller sombrer dans les pénibles excès de nombreuses chanteuses “à voix”. Avec Weyes Blood, la priorité est clairement la transmission de l’émotion de la manière la plus pure possible. Je dirais même que, débarrassées de l’orchestration pléthorique de l’album et de ses prétentions à la fois cinématographiques et conceptuelles (le drame du Titanic, comme symbole de l’iniquité sociale, mais aussi le film de Cameron comme romance absolue, en gros…), les chansons trouvent dans un format plus simple une vérité plus convaincante.
Everyday, avec son rythme dansant et ses gimmicks accrocheurs, permet de faire une petite pause émotionnelle, avant l’envol spirituel d’Andromeda. Si le set est clairement consacré en grande partie au dernier album, les nostalgiques de la période précédente de Weyes Blood auront quelques (rares) titres plus anciens pour se réconforter, comme Seven Words… juste avant d’attaquer la pièce de résistance de la soirée, l’enchaînement des trois meilleures chansons de l’album, Miror Forever, Picture Me Better, et surtout le superbe Movies : au moment du break central de Movies, Natalie quittera sa veste, la jettera spectaculairement par terre pour pouvoir danser sur le beat de la seconde partie du morceau… Mais ce ne sera que pour la récupérer ensuite, l’épousseter soigneusement, la remettre et la reboutonner complètement. On comprend bien alors que Natalie ne va pas nous la jouer Rock’n’Roll performer, qu’elle est une jeune femme sage, probablement plus dans le contrôle que dans le délire scénique ! Ceci dit, à la fin de la chanson, elle nous félicite d’être Français et de faire du bon cinéma : quand elle nous demande si nous aimons Godard, je serai le seul à répondre franchement « Moi, Oui ! », ce qui la fera quand même rire, vue la stupéfaction du reste du public !
Bon, je ne vais pas me faire que des amis, mais je trouve quand même que Titanic Rising, au-delà de sa production impressionnante, souffre de compositions pas très marquantes, en tout cas pas au niveau du talent vocal de Natalie. Et cette déficience mélodique va être paradoxalement soulignée par la sublime reprise du God Only Knows des Beach Boys que nous offre la jeune Californienne : sur une chanson de ce niveau, la voix de Natalie devient sublime, et on atteint le pic émotionnel de la soirée. Je me dis alors que le plus beau cadeau qu’elle puisse nous faire serait un bel album de reprises de classiques, non ?
La soirée se terminera dans l’allégresse générale avec deux extraits de From Row Seat to Earth, en particulier l’accrocheur Do You Need My Love… avant un dernier titre en acoustique et en solo, Bad Magic, très beau moment d’émotion dépouillée : « Get out of bed / put on some clothes / and find your shoes / at least there’s nothing more / you could really lose now, is there? »
Après cette courte heure et quart à la fois calme et intense, il ne reste guère de doutes que Weyes Blood ira loin. Et que, avec quelques autres Parisiens ayant fait le déplacement ce soir à Orléans, nous n’avons pas perdu notre temps…
Ah, j’oubliais de mentionner le geste bien intentionné de Natalie, qui aura dédié d’entrée de jeu ce concert à Jeanne d’Arc, clin d’œil sympathique quand même aux Orléanais, mais aussi peut-être déclaration d’intention d’une artiste déterminée, féministe, et aux idées politiques engagées…
Texte et photos : Eric Debarnot
La setlist du concert de Weyes Blood :
A Lot’s Gonna Change (Titanic Rising – 2019)
Something to Believe (Titanic Rising – 2019)
Everyday (Titanic Rising – 2019)
Andromeda (Titanic Rising – 2019)
Seven Words (From Row Seat to Earth – 2016)
Mirror Forever (Titanic Rising – 2019)
Picture Me Better (Titanic Rising – 2019)
Movies (Titanic Rising – 2019)
Wild Time (Titanic Rising – 2019)
God Only Knows (The Beach Boys cover)
Do You Need My Love (From Row Seat to Earth – 2016)
Encore:
Generation Why (From Row Seat to Earth – 2016)
Bad Magic (Natalie Mering Solo) (The Innocents – 2014)