Il est des films que l’on va voir – et que l’on aime – pour leurs acteurs : pourquoi donc se priver du plaisir d’un Ricardo Darín impérial sous prétexte que Retour de Flamme n’est pas réalisé par Bergman ou Woody Allen ?
Nous sommes un petit club de cinéphiles qui pensons que l’un des tous meilleurs acteurs mondiaux en activité est argentin et s’appelle Ricardo Darín. Depuis sa découverte en 2000 dans le réjouissant Nueve Reinas (les Neuf Reines), l’homme n’a jamais cessé de nous éblouir, de nous émouvoir, de nous faire rire, à chacune de ses apparitions : la situation excentrée de l’Argentine par rapport aux grands pôles du Cinéma n’a certes pas favorisé sa notoriété, mais Darín a figuré au générique de films internationalement diffusés comme El Secreto de sus Ojos (Dans ses Yeux), oscarisé ou comme Relatos salvajes (les Nouveaux Sauvages) qui a fait bonne impression à sa sortie française en 2014. D’un autre côté, Darín n’a jamais bénéficié non plus d’une aura d’acteur « pointu », sa carrière se cantonnant principalement à des films sinon franchement populaires, du moins faisant partie du Cinéma « du milieu » répondant avant tout aux attentes d’un public local, et non aux choix des organisateurs de festivals « art et essai ». Mais nous savons quant à nous que regarder un film avec Ricardo Darín sera toujours intéressant, quelles que soit les qualités intrinsèques de son scénario et de sa mise en scène, tant il s’agit d’un acteur combinant une singularité forte qu’il trimballe de rôle en rôle avec une parfaite justesse d’interprétation…
Ce qui nous amène à cet Amor menos Pensado (soit l’amour le moins probable, transposé en Retour de Flamme par les distributeurs français) : encore une fois un film sans doute trop peu ambitieux par son sujet – le désamour dans le couple à la cinquantaine et la tentation d’une nouvelle vie – comme par sa mise en scène ronronnante, sans aspérités. Juan Vera fait en effet le choix étonnant de ne pas choisir, justement : entre comédie de mœurs clignant de l’œil sans vergogne à son public de 40-50 ans, qui se reconnaîtra facilement dans ces clichés inoffensifs sur l’usure du couple et l’inanité de la séduction à l’ère de Tinder, et analyse froide du désarroi moderne dans un monde de plus en plus incompréhensible, Retour de Flamme veut couvrir toutes ses bases, et du coup, s’allonge sur une durée excessive par rapport à son véritable argument. Il est en outre surprenant de voir comment le scénario s’aventure dans un véritable labyrinthe de mini-intrigues, de situations qu’il se contente souvent d’abandonner sans résolution au gré d’ellipses temporelles bien trop faciles : c’est un peu comme si Vera craignait de se risquer dans les véritables profondeurs de son sujet, là où quelque chose de réellement saisissant, voire dérangeant, pourrait advenir… Ramené à 1h30, et en s’affirmant franchement soit comme une vraie comédie, soit au contraire comme une dissection psychologique d’un amour, à la Bergman ou à la Woody Allen, le film aurait pu fonctionner parfaitement.
Car, bien sûr, Ricardo Darín est comme toujours enchanteur, à la fois caricature grinçante du mâle typique de sa génération et être humain frémissant de vérité. Pour lui, on affrontera sereinement les quelques « tunnels » du film. Avec lui, on se réjouira d’un happy end d’autant plus fragile qu’il était annoncé de manière programmatique par le titre : avec lui, on pourra vraiment croire à cette jolie et légère déclaration de non amour finale, constat désabusé mais pas si triste que ça des tours et détours que prend la vie. Et, avec lui, on en aura appris beaucoup plus sur les recettes des fameuses « empanadas » argentines, ce qui n’est pas si mal…
Eric Debarnot