Avec Titanic Rising, son quatrième album, l’américaine Weyes Blood accède enfin à une reconnaissance publique. Mais le disque mérite-t-il toutes les éloges qu’il récolte ? Analyse d’un phénomène
Natalie Mering alias Weyes Blood, on l’a découvert en 2011 à la faveur d’un premier album, The Outside Room. On suivait avec intérêt le travail de la dame, une écoute polie mais pas toujours attentive. C’est assurément avec Front Row Seat To Earth (2016), son avant-dernier disque, que l’on vit s’affirmer une personnalité singulière.
Titanic Rising semble être une nouvelle étape d’une métamorphose, celle d’une jeune chanteuse trop enfermée dans ses références et triturant des brouillons maladroits de mélodies qui lentement laisse se déployer des ondes inédites. Toutefois, ce disque brillant n’évite pas toujours quelques effets de manche et quelques facilités mais on se doit de reconnaître l’émergence d’une artiste qui n’a rien à faire de l’air du temps. A l’écoute de Titanic Rising, on jurerait être plongé dans une sphère temporelle, une faille dans l’espace continu. On remonte la longue route sinueuse de Mullholland Drive et nous voici déjà du côté de Laurel Canyon, Los Angeles, Californie. Regardez cette grande bâtisse là à votre gauche, il y a de la lumière. On entend un air qui monte dans la nuit. L’escalier nous mène lentement vers cette maison accueillante comme un feu de cheminée au creux de l’hiver. Une longue femme blonde joue de la guitare sous le regard attentif d’un homme moustachu. Joni Mitchell chante pour la première fois les titres de Ladies Of The Canyon à Graham Nash.
Titanic Rising ranime ces temps-là mais pour autant, il ne faudra jamais y entendre ou en attendre le moindre geste passéiste, des constats en mode « C’était mieux avant« . Au fur et à mesure que l’album se déroule et se révèle, l’américaine glisse avec une belle intelligence des arrangements qui, lentement, se dégagent d’un son Seventies, Laura Nyro et The Carpenters en tête pour apporter des touches (discrètes) plus électroniques. Co-produit avec Jonathan Rado de Foxygen, Titanic Rising pourrait trouver quelques filiations avec le brillantissime The Party (2016) d’Andy Shauf.
Toutefois, Titanic Rising n’évite pas toujours les écueils de ces disques très référencés. Pour faire la fine bouche, certains titres (un peu plus faibles) relèvent parfois de l’exercice de style un peu vain, trop ramassés sur eux-mêmes pour s’octroyer une distance bienveillante. Ils se fourvoient parfois dans une forme de paraphrase qui confine (presque) à la redite. A trop vouloir s’appuyer sur ses références, Weyes Blood en dilue parfois sa singularité propre.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est sans doute de ses défauts que Titanic Rising puise son pouvoir d’attraction. Picture Me Better ressemble en tous points à un inédit de Joni Mitchell mais sans souffrir le moins du monde de la comparaison avec les travaux de son aînée. On lui préférera toutefois les envolées majestueuses de Wild Time où l’américaine prouve ô combien elle est avant tout une grande chanteuse. Movies, à mi-temps de l’album, avec ses constructions dérangées aux violons, se rapproche du Deserters (2012) de Rachel Zeffira de Cat’s eyes pour cette même puissance vocale toute en retenue de soprano.
Titanic Rising n’est peut-être pas le chef d’oeuvre annoncé mais il est assurément la certitude de grands joyaux à venir. Dans quelques années, avec le temps qui aura passé comme témoin, nous nous retournerons sur ce quatrième album de la dame et nous dirons « Il y avait déjà tout ce que nous aimons dans ce disque« . Laissons donc le temps faire son oeuvre. Titanic Rising a au moins le mérite de confirmer nos espoirs dans les travaux de la jeune américaine et de l’épanouissement à venir d’une grande artiste.
Greg Bod
Weyes Blood – Titanic Rising
Sortie le 05 avril 2019
Label : Sub Pop / PIAS