Et si Midlife, le nouveau disque de Renaud Brustlein alias H-Burns était la revanche des gens ordinaires à l’orée de la bilan de moitié de vie ?
Dominique A n’a peut-être finalement pas tort quand il se plaint d’une Pop française qui décide de laisser la langue de Boris Vian pour celle de James Ellroy. On ne citera pas ici l’indigence de certaines productions auréolées d’une fausse excuse, celle d’une pudeur à ne pas se dévoiler totalement. Fort heureusement, il y a toujours des exceptions à la règle. Citons à l’envie Syd Matters disparu des radars depuis bien trop longtemps. Jonathan Morali, réveillez-vous ! On reviendra également sur la discographie impeccable de Sebastien Schuller, exilé volontaire aux Etats-Unis. Quels intérêts vont chercher ces artistes dans l’utilisation de la langue anglaise par-delà l’évidente raison rythmique ou le rapprochement avec ses références ? Peut-être une forme de déroute, un exotisme doucereux.
Pourtant, il existe des cas d’école qui entrent en rébellion avec l’idée de l’emploi de l’anglais. Prenons Bertrand Belin qui n’utilise que l’idiome français dans ses chansons mais mêlé à des Amériques abstraites, des routes cabossées. La musique de l’auteur d’Hypernuit n’est assurément pas dans la registre de la chanson française mais à la confluence de plusieurs territoires. Il en est de même pour H-Burns On sent bien ici qu’il malaxe un fantasme d’Amérique, celle des perdants magnifiques, des déchets humains que vomissent les caniveaux. Et puis il y a cette évidence du temps qui passe, du vieillissement qui fait son oeuvre, du besoin de prendre du recul pour faire un bilan de mi-parcours pour éviter le déraillement et le dérapage incontrôlé. Midlife est un disque empathique, jamais plombé, ouvert au monde et à l’espoir.
On y entendra parfois un Mark Linkous qui laisserait entrer un peu de lumière, un Kozelek qui délaisserait la neurasthénie et la misanthropie, un Troy Bon Balthazar qui contiendrait son étrangeté. Renaud Brustlein affirme non seulement un songwriting raffiné mais un storytelling impressionniste pour un disque qui ne se veut jamais totalement crépusculaire ou plombé. Midlife convoque un ciel chargé d’aurore boréale, les paysages s’y perturbent et s’égarent entre un Tigress comme exilé d’une B.O d’un western spaghetti de Sergio Leone ou le piano fin de siècle tremblant de Pretty Mess.
Renaud Brustlein renouvelle une fois encore son registre après KIds We Own The Summer (2017) où il travaillait une certaine idée de la mélancolie des temps révolus. Sur Midlife, il hésite entre la contemplation de ce qui a déjà été réalisé et la peur de demain. Cela en fait un disque volontairement bancal (rien de péjoratif dans le terme) qui choisit de ne pas choisir entre deux polarités, une phase positive et une autre négative.La quête de l’obscurité et l’abandon dans la lumière. On ne cesse de basculer entre états introspectifs (Sister avec Kate Stables de This Is The Kit) et énergie ranimée (Crazy Ones).
On entend bien ici quelques traces de Stuart Staples qui a participé à l’élaboration du projet (l’enregistrement des démos en particulier). Tourists ne porte-t-il pas la marque subliminale du compositeur des Tindersticks ? Ce qui démarque assurément Renaud Brustlein de l’indigence citée plus haut dans l’emploi de la langue anglaise, c’est cette dilution d’une identité européenne, française de manière accessoire pour construire un vocabulaire nouveau et inédit qui n’a finalement que faire des frontières.
H-Burns dessine les territoires d’un pays, celui des gens ordinaires face à des problèmes bien communs. La modestie des petits, des pas grands choses, le défenseur de la presque veuve et du presqu’orphelin. Sans peut-être s’en rendre compte lui-même, Renaud Brustlein signe par-delà un bilan de vie, un grand disque qui répare bien des blessures.
Greg Bod