L’étincelant Le Chant de la forêt nous plonge au cœur de l’Amazonie dans le village de Pedra Blanca pour suivre le parcours initiatique d’Ihjãc, jeune père de famille qui tente d’échapper à son destin intime guidé par des voix intérieures.
Rares sont les films qui nous invitent à des voyages au sein de contrées et de cultures inconnues. Les réalisateurs Renée Nader Messora et João Salaviza nous invitent de manière presque anthropologique à la découverte de la tribu indigène des Krahõs, une communauté isolée au nord du Brésil, vivant dans des habitations en terre et aux toits végétaux. Les cinéastes livrent un long métrage qui se présente sous la forme d’une ethno-fiction tournée en dialecte Jê (langage de la tribu Krahõ), après une longue immersion de plus de neuf mois avec la collaboration des habitants du village qui jouent leur propre rôle.
Dès la séquence d’ouverture où Ihjãc marche en pleine nuit au cœur de la forêt avec une arme rudimentaire pour aller rejoindre une cascade guidé par l’esprit de son père défunt avant d’entamer un dialogue avec lui, l’onirisme voit le jour. Le père, dont on n’entend que la voix sortant des eaux, réclame à son fils, selon la tradition, d’organiser avant qu’il ne soit trop tard une fête de fin de deuil en son honneur pour qu’il puisse enfin s’en aller au village des morts… Une séquence introductive qui n’est pas sans nous évoquer un décor similaire au sein du film Oncle Boomee, celui qui se souvient de ses vies antérieures (2010) de Apichatpong Weerasethakul.
Tout a long de cette fable humaniste, la mise en scène très sensorielle ne va de cesse d’offrir un écrin visuel magnifique en 16mm et une impressionnante bande sonore où la faune et la nature accompagnent ce mode de vie ancestrale, fait de labeurs, de récoltes, de rites chamaniques, de cantoria (chants brésiliens basés sur l’improvisation des vers) et de croyances toujours en adéquation avec la nature. La caméra contemple avec tendresse chacune des activités et s’imprègne de poésie pour capter l’union entre l’homme et la nature et leurs relations avec le monde des morts.
L’intrigue narrative se resserre autour du jeune couple dont la mère s’inquiète de l’apparition de petites tâches noires sur le visage du bébé (malade ?) qui pleure régulièrement et dont l’âme semble être perturbée, tout comme celle du père depuis sa « rencontre » nocturne avec son père au-delà de la vie. Ce tourment va s’accentuer particulièrement par le biais d’un perroquet maléfique, véritable esprit des bois (mecaro), dont ses pouvoirs nuisibles indiquent à Ihjãc son intention de le faire chaman, passeur entre le monde des vivants et celui des morts.
À partir de cette révélation le père de famille consulte un guérisseur et par désarroi prend la décision de quitter sa famille et sa conception de la vie quotidienne pour fuir ce destin chamanique dont il refuse d’en être imprégné. Le film prend alors un autre virage dès l’arrivée en ville avec la confrontation de deux modes de vie, celle des croyances et celle de la rationalité administrative (demande de carte d’identité qu’il n’a pas avec changement d’un prénom blanc : Henrique) et économique (demande de carte mutuelle).
Cette deuxième partie démontre habilement la place des indigènes dans une société urbaine devenue blanche et illustre par petites touches à quel point déjà, même dans un village reculé, certains aspects de la société moderne se sont déjà installés à l’intérieur de la communauté (vernis à ongle, téléphone). Un constat qui met en avant l’inquiétante pérennité à long terme de cette communauté indigène dont le nouveau président brésilien Jair Bolsonaro méprise l’identité et les droits territoriaux par conviction politique et par aspirations des voix de l’argent. Cet harmonieux et lyrique hommage à ces indiens Krahõs s’avère donc d’une actualité brûlante, et enivre à chaque séquence tous nos sens, comme dans un rêve éveillé. Cette escapade spirituelle nous incite à garder les yeux ouverts afin que ces êtres humains ne subissent pas le cauchemar que notre monde cynique et industrialisé projette sur eux.
Venez vous immerger au cœur de cette œuvre méditative pour découvrir le bonheur de vivre de la tribu Krahõ dont l’existence vibre constamment en symphonie avec la nature, en écoutant sa voie intérieure et Le Chant de la forêt. Immersif. Splendide. Envoûtant.
3,5/5
Sébastien Boully
Le Chant de la forêt
Film brésilien réalisé par João Salaviza et Renée Nader Messora
Avec Ihjãc Henrique Krahõ, Kõtõ Krahõ
Genre : Drame
Durée : 1h5
Date de sortie : 8 mai 2019