Avec Le modèle oublié, Pierre Perrin propose une biographie romancée qui permettra de découvrir ou de mieux connaitre l’homme qui se cachait derrière l’artiste Gustave Courbet.
Le 10 juin prochain (2019), nous fêterons le deux centième anniversaire de la naissance de Gustave Courbet, à cette occasion, Pierre Perrin, enfant, tout comme moi, du Pays de Courbet, publie un livre sur le maître. La littérature étant déjà fort abondante sur le sujet, il a choisi de montrer l’homme plutôt que le peintre, une façon de mieux comprendre son rapport à son œuvre. Il dépeint l’enfant rébarbatif aux études au séminaire, le jeune homme fêtard, abusant de l’alcool et de la nourriture, le séducteur coureur de filles mais surtout le conjoint amoureux même s’il n’est pas très fidèle et le père qui n’a pas su aimer son fils comme il l’aurait voulu. Il dépeint aussi le bourgeois affairiste, avide d’argent, qui joue au socialiste sous le regard narquois de ses compatriotes comtois notamment Proudhon. Et l’ami fidèle qu’il a été pour ses compagnons de province ou pour ses relations parisiennes comme Baudelaire qu’il a fréquenté jusqu’à sa mort.
On dépeint souvent Courbet entouré de jeunes filles fort séduisantes et peu farouches qui ne sont pas que des modèles pour le peintre, mais on n’évoque jamais celle qui a longuement partagé sa vie à Paris : Virginie Binet qu’il appelait ma Vigie tant elle était de bon conseil. C’était aussi un point d’ancrage où il aimait revenir, comme le marin au port d’attache, après de longues escapades à travers la France, et même l’Europe, mais surtout pour de longues vacances à Ornans d’où il ne pouvait que difficilement s’arracher pour rentrer à Paris. Virginie, il l’a rencontrée à Dieppe où elle vivait encore chez son père malgré sa trentaine. Il l’a aimée très vite et s’est démené comme un diable pour la faire venir à Paris au moment où il ne connaissait ni la gloire, ni la fortune, se contentant de dépenser les subsides d’un père embourgeoisé. Cette union jamais légitimée, plutôt harmonieuse, durera plus d’une décennie, Virginie lui donnera même un fils, Emile, qu’il refusera de déclarer. Mais la fidèle compagne finira par se lasser des frasques mais surtout des absences de l’homme qui partageait sa vie et rejoindra sa ville natale avec son fils.
Sans sa conjointe, sans son fils, Courbet souffrira mais continuera à travailler comme un forcené, c’était une force de la nature, il a peint quantité de tableaux dont bon nombre sont gigantesques, il a accumulé âprement un joli pactole, achetant de nombreuses propriétés foncières dans la Vallée de la Loue. Pierre Perrin, en fin connaisseur du peintre et de son œuvre, relie chacune de ses œuvres majeures au contexte familial et social dans lequel le maître les a réalisées. Courbet n’avait qu’une seule maîtresse qui l’a envoûté tout au long de sa vie : la peinture dont il ne pouvait se passer et dont il était convaincu d’être le meilleur serviteur. Son ego démesuré, son orgueil, sa « grande gueule », ne lui vaudront pas que des succès, alors que Virginie n’est plus là pour l’apaiser, il se fait des ennemis, froisse des personnes importantes et commet quelques bévues qui finiront par lui être fort préjudiciables. Le départ de Virginie sonne le début de la désescalade même si la cote du peintre grimpe de plus en plus et ne cessera jamais de grimper.
Pierre Perrin a choisi la biographie romancée pour pouvoir s’immiscer dans l’intimité du peintre afin de pouvoir montrer Courbet tel qu’il était hors de son atelier et comment la femme de sa vie a contribué au développement de sa carrière. Ce texte très documenté montre l’irrésistible ascension de l’artiste déployant son immense talent auprès de sa douce et compréhensive épouse et la désescalade de l’homme gros goujat égocentrique, goinfre et frivole, hâbleur et orgueilleux, sûr de lui en tout et pour tout, terminant pitoyablement sa vie en un exil qu’il aurait pu éviter avec un peu plus de réserve et de finesse.
Un livre destiné à ceux qui veulent découvrir Courbet mais aussi un livre pour ceux qui croient tout savoir de Courbet en ignorant peut-être que l’homme qui se cachait derrière l’artiste était moins glorieux que le peintre toujours autant admiré et adulé.
Denis Billamboz
Le Modèle oublié
Biographie de Pierre PERRIN
Editeur : Robert Laffont
Collection : Les Passe-Murailles
234 pages – 20€
Date de parution : 4 avril 2019