Après avoir perdu l’insouciance, Baptiste W. Hamon évite les écueils du second disque et s’affirme comme un grand auteur en devenir, à mi-chemin entre une Amérique fantasmée et les trottoirs crasseux d’un Miossec.
Il n’y a rien de plus difficile à franchir que le second disque pour un musicien. Nombre d’entre eux ne s’en sont jamais remis ou ne sont parvenus à se relever d’un tel échec. Le challenge à atteindre : Se renouveler sans se renier, faire rejaillir l’étincelle d’inédit, reconstruire une force lentement échafaudée pour les premières chansons avec toute l’énergie du désespoir et des années accumulées.
C’est prendre des risques, prendre des décisions qui modifient une vie sans que l’on puisse avoir conscience des conséquences possibles. Le premier disque, c’est l’âge des possibles, le second, celui des dangers.
Avec Baptiste W(alker) Hamon, c’est le cheminement d’un homme vers l’âge adulte, la lente évolution d’un humain qui se construit. Il fallait bien quitter l’enfance dans la première étape de sa discographie. Soleil Soleil Bleu entre en adolescence, le temps des amoureux transis. On entend encore une fois cette volonté à vouloir se faire rencontrer les Hauts de Hurlevent, la Lone Star d’Abilene et une belle langue française. On hésite longtemps entre Steel Guitar, Nino Ferrer et ailleurs apatride. Le Walker semble s’estomper au profit d’un seul W comme pour mieux ne pas s’enfermer dans une image un peu facile de Country à la française. Baptiste Hamon qui s’est toujours refusé à rentrer dans des querelles de clocher (selon lui stérile) entre variété française et chanson dite « de qualité », joue dans un entre-deux de sa voix parfois lyrique (des restes d’innocence de l’adolescence), parfois au bord du spoken word (Je brûle)
Aussi étrange que cela puisse paraître, malgré les références totalement assumées (plutôt celles du grand ouest américain), Baptiste W Hamon rappelle Serge Reggiani pour cette même dramaturgie toute en retenue. Sa version de Hervé déjà entendue sur le web et ici accompagnée de Christophe Miossec provoquera assurément quelques frissons.
Côté production, le disque semble plus ouvert à l’air du temps, Bloody Mary se rapproche sans doute fortuitement de Les Deux Côtés d’une ombre de Dominique A, Baptiste W.Hamon est visiblement désireux de décloisonner sa musique. Soleil Soleil Bleu ne sonne pas comme un disque en réaction au précédent mais plutôt comme la volonté d’ouvrir les angles.
S’affranchir de ce qui nous a forgé, ce n’est jamais se trahir mais au contraire grandir et s’épanouir. Baptiste W.Hamon y parvient avec une belle élégance.
La lune tourne sur ma peau, je ne fais plus l’enfant, non
Tu l’as mordu l’enfant, il s’est perdu
Frissons d’un autre temps
Tu te souviens les rondes, tu te souviens les danses,
de cette Nouvelle France que nous cherchionsBaptiste W. Hamon (In Soleil Soleil Bleu)
Sur Comme on est bien, Baptiste W.Hamon réconcilie une Amérique sereine avec l’envie des grands espaces d’un Christophe. En d’autres bouches, la proposition de prendre une grande gondole à Venise tomberait dans une romance de mauvais goût, chez le jeune français, on y entend une supplique dont la sincérité ne fait nul doute. Les seuls artistes dont on pourrait rapprocher le parisien d’adoption, ce seraient Bertrand Belin et Sammy Decoster pour cette valse qui ne choisit jamais entre la prosodie d’un texte superbement écrit et le cinémascope mouvant.
De goût, il est toujours question tout au long de ce disque, de bon surtout. Se faire accompagner encore une fois de Will Oldham (le temps de Black Captain, extrait du répertoire de l’auteur de I See A Darkness) pour une ballade plus proche d’une chanson bien hexagonale que d’une complainte des Appalaches ne relève pas d’un caprice mais d’un bel échange entre deux artistes qui savent s’entendre et se comprendre, à l’image de sa réappropriation de cette chanson de ses amis de Barbarisms, Stink Of Love devenue Les Sycomores sur L’insouciance. Il faudra sans doute s’interroger sur les raisons possibles de cet exercice (devenu rite) de la reprise. Assumant totalement un romantisme forcené, le français sait tenir à distance une grandiloquence et sans doute l’émotion naît-elle de cette pudeur. En chute de ce disque, Le visage des anges dessine une parentalité possible avec le Jean-Louis Murat de Lilith (2003).
On pensera parfois à Jacques Bertin sans bien comprendre pourquoi et plus particulièrement ce texte :
Je voudrais une fête étrange et très calme
avec des musiciens silencieux et doux
ce serait par un soir d’automne un dimanche
un manège très lent, une fine musique
Des femmes nues assises sur la pierre blanche
Se baissent pour nouer les lacets des enfants
Des enfants en rubans et qui tirent des cerfs-volants blancs
Les femmes fredonnent un peu, leur tête penche
Je voudrais d’éternelles chutes de feuilles
L’amour en un sanglot un sourire léger
Comme on fait entre ses doigts glisser des herbes
Des femmes calmement éperdues allongées
Des serpentins qui voguent comme des prières
Une danse dans l’herbe et le ciel gris très bas
lentement. Et le blanc et le roux et le gris et le vert
Et des fils de la vierge pendent sur nos bras
Et mourir aux genoux d’une femme très douce
Des balançoires vont et viennent des appels
Doucement. Sur son ventre lourd poser ma tête
Et parler gravement des corps. Le jour s’en va
Des dentelles des tulles dans l’herbe une brise
Dans les haies des corsages pendent des nylons
Des cheveux balancent mollement on voit des nuques grises
Et les bras renvoient vaguement de lourds ballons
Sans doute que cette proximité avec son aîné se situe dans cette étrangeté du peu. L’écriture de Baptiste W.Hamon se découvre blanche, belle et naturaliste, délaissant les fioritures et le dérisoire. Il y construit lentement une identité qui n’est finalement que lui. Soleil Soleil Bleu se pose donc là comme un second album d’un artiste qui n’en est qu’au début d’une longue aventure que l’on appelle la vie, qu’elle lui soit insouciante !
Greg Bod