Quatrième album de Vampire Weekend, un groupe qui n’existe peut-être plus vraiment, Father of the Bride ne créera pas de consensus. Pourtant, si l’on veut bien se laisser séduire par son côté ensoleillé et ludique, il a bien du bonheur à nous offrir.
Une manière de décrire Vampire Weekend, c’est de le qualifier de petit groupe new yorkais systématiquement encensé par une certaine presse branchée, et haï par une bonne partie du monde (« pas assez Rock », « trop précieux », « trop propres sur eux », etc.)… et ce n’est pas Father of the Bride, leur quatrième album après un hiatus de 6 ans, qui y changera quelque chose, au contraire. Plus grave encore, le départ de l’inventif Rostam Batmanglij, homme-orchestre sans doute responsable d’une grande partie de l’originalité sonore du groupe, laisse le « gentil » Ezra Koenig seul aux commandes. Le résultat est que ce disque que sonne la plupart du temps comme un véritable album solo d’Ezra – même et surtout dans ses duos, très touchants, avec Daniel Haim…
Est-ce à cause du l’absence de Rostam qu’on a le sentiment ici d’un retour à la simplicité après la complexité, l’emphase et l’ambition un peu démesurée de Modern Vampires of the City ? Un retour, mais pas exactement au point de départ, car la légèreté joueuse, les accélérations tellement enthousiasmantes du premier album sont désormais bien loin : paradoxalement, le déploiement d’une certaine idée du bonheur, de la sérénité, faisant sans doute écho avec la vie personne désormais stable d’Ezra, confère à l’album une plénitude… moins jouissive pour l’auditeur que les mini-crises d’angoisse existentielle des débuts du groupe.
La musique obstinément ensoleillée de Vampire Weekend se fait même bucolique, revenant souvent au rêve un peu naïf d’une humanité retrouvant son innocence au contact de la nature, mais aussi de sentiments plus simples, plus « naturels ». Du coup, cette musique peut parfois sonner d’une manière un peu mièvre – la voix toujours enfantine d’Ezra n’aidant pas à lui conférer de la profondeur – qui lui vaudra certainement, une fois de plus, l’anathème des puristes. Il est pourtant permis d’y reconnaître cette innocence caractéristique de la musique des années « hippies » alors même que les textes de nombreuses chansons dénotent une réelle conscience politique, voire un engagement certain, et donc d’y retrouver une foi un peu immature dans la force et l’importance de la Musique.
Formellement, plus du tout d’accélérations punky, moins d’auto-tune branché / contemporain dans Father of the Bride, juste quelques relents de la vieille fascination du groupe pour le continent africain – et la musique sud-africaine en particulier. Mais en revanche, une ouverture assez stupéfiante à des sonorités qu’Ezra est allé chercher un peu partout, du Brésil à la Scandinavie, du flamenco à Paul Simon (qui semble toujours LA référence vocale pour Ezra, mais aussi un modèle pour ces chansons faussement simples et directes, qui mettent finalement du temps à révéler leur richesse) : Father of the Bride est un album au spectre émotionnel étroit mais qui brasse large.
On imagine donc bien que ceux qui ont critiqué le groupe pour son absence totale de street-credibility et pour cette politesse bien élevée de rejetons de la riche société new-yorkaises, pesteront contre cet album très poli, très agréable au premier degré. Pourtant, ce qui est intéressant, c’est que le faux-pas n’est jamais loin, la dérive dans le mauvais goût n’est pas totalement évitée, le sérieux de la construction musicale et sonore élaborée débouche paradoxalement sur un joli sentiment de plaisanterie potache. Alors, si Father of the Bride marque un net départ de Vampire Weekend vers des contrées plus MOR, ainsi que vers un certain classicisme pop (on a déjà cité Simon & Garfunkel, on peut aussi bien se souvenir de Dylan dans sa période country relâchée ou bien des Beatles en pleine expérimentation béate, ou encore de XTC baguenaudant dans la campagne anglaise…), l’aventure excentrique n’en est pas terminée pour autant.
Father of the Bride, à la manière des grands albums des années 70, demande à l’auditeur une vraie attention, et un certain temps pour que sa magie opère : il paraît d’abord un peu trop long (le format double album !), avec quelques redondances entre morceaux et une certaine uniformité. Ces défauts disparaissent néanmoins au fil des écoutes, alors que l’on se familiarise avec le travail d’Ezra – qui a d’ailleurs eu la lucidité de laisser interférer ici nombre de collaborateurs qui sont venus enrichir l’album, de Hans Zimmer à Mark Ronson, en passant par DJ Dahi, Steve Lacy et d’autres – et que l’on saisit l’intelligence de sa « vision ».
Il se pourrait en fin de compte que Father of the Bride s’avère l’un des meilleurs albums de cette année, mais on peut d’ores et déjà le classer parmi les grands disques des héritiers contemporains du Rock « classique » des années 70 : un disque sensible, ambitieux, effronté, anticonformiste (en particulier par son refus du drame et de la noirceur, auxquels il préfère la lumière et la recherche du bonheur). Une surprise, un album diablement joueur derrière son sourire permanent.
Eric Debarnot