Pour son douzième album, Kings Cross, Jay-Jay Johanson ne change en rien les savants dosages de son alchimie. Il chante encore et toujours la mélancolie contagieuse des amours désenchantées et reste maître en la matière.
Une mélancolie tombant comme une fine neige, lentement, sur le tapis rouge écarlate d’un beat souple et jazzy. Le plus souvent soutenu par un subtil alliage piano-batterie, ses accents de crooner sont reconnaissables entre tous. Ainsi Kings cross est un album totalement établi dans la continuité de l’artiste suédois. Vous n’ y entendrez nullement de nouvelles pistes d’écriture ou de nouveaux horizons musicaux, il s’agit de le retrouver tel que nous l’avions laissé sur son précédent opus. Jay-Jay Johanson chemine avec la même élégance de héron cendré sur les eaux calmes du lac froid des amours mortes, pêchant ça et là de beaux poissons d’argent qui sont autant de chansons pour éclairer nos nuits.
Un peu moins sombre et trouble, ce Heard Somebody Whistle est un des titres les plus enlevés de l’album, composé pour la bande originale du film Swoon (Eld & Lagor). Il y a également un duo avec la très hype Jeanne Added, évoquant une fièvre oscillant entre lascivité jazz et désir de dancefloor. Un autre avec Robin Guthrie, camarade de longue date, où il nous parait évident de faire le lien avec les influences de Jay-Jay Johanson qui viennent peut-être aussi bien du lyrisme des Cocteau Twins que des crooners américains. Mais dans l’ensemble, cet album sonne finalement bien plus jazz que trip-hop, revendiquant la filiation d’un jazzman à la fois vocaliste et instrumentiste comme Chet Baker. Sans oublier l’empreinte des grandes musiques de films ou du cinéma lui-même. D’ailleurs, il serait peut-être bon de parler un jour de la part fondamentale apportée par la Suède dans l’histoire de la musique (à l’instar du cinéma).
Pour ma part, la veine que je préfère chez Johanson est celle qui tend le plus vers l’électronique ou le trip-hop ; et il faut reconnaître qu’elle y est plus rare dans ce Kings cross, hormis quelques titres comme Not time yet, évoquant avec pudeur qu’il n’est pas encore tant de partir et que s’il faut le faire, rien n’est aussi difficile que d’abandonner sa part sans une certaine forme d’arrachement que dépeint à merveille l’univers de Jay-Jay Johanson. There’s no easy way to say goodbye.
Dionys Décrevel