Acte de Dieu : de l’éternelle opposition entre l’Homme et la Nature

Dans Giacomo Nanni, il y a Giono. Ce n’est peut-être totalement par hasard, car à la manière de l’écrivain, le bédéaste italien produit une œuvre panthéiste où la nature se fait narratrice. Un récit totalement hypnotique.

Acte de Dieu – Giacomo Nanni

Un chevreuil égaré dans le monde des hommes, une licorne blessée à mort par des chasseurs, un tremblement de terre dans l’Italie centrale. En apparence, aucun lien direct entre ces trois faits, et pourtant… A travers ce récit choral mystérieux, où la nature est le personnage central, Giacomo Nanni nous suggère que peut-être, il n’en est rien…

Acte de Dieu – Giacomo NanniŒuvre atypique au titre intrigant, dans un petit format, avec une couverture blanche très minimaliste, représentant une tête de chevreuil sanglée dans une sorte de masque, « Acte de Dieu » déconcerte, dérange, interroge. Dès la première page, le ton est donné. Deux images, celle d’un chevreuil en arrêt dans un pré, dominant celle d’une route encombrée de voitures. Deux mondes à l’opposé qui vont se rencontrer, à travers ce jeune animal sauvage qui n’a pas appris à se méfier de l’Homme. Ainsi, le chevreuil va s’inviter dans ce paysage de banlieue quelconque, dans sa modernité sinistre, où les humains ne sont plus que des silhouettes anonymes. Très vite, cette « intrusion » va susciter la curiosité des habitants et nombre de questionnements. Faut-il le capturer, comment le protéger ? A quelques kilomètres de là, un autre chevreuil s’est fait surprendre par un piège photographique. Mais est-il vraiment un chevreuil avec sa corne unique qui évoque une licorne, cette chimère qu’un œil humain n’a jamais vu ? Animal magique, de légende, qui hélas n’a pas échappé à l’œil des chasseurs, bien déterminés à en faire leur trophée…

Au premier abord, on pourra être dérouté par le graphisme atypique, évoquant des clichés photographiques traités par ordinateur, qui semblent n’être qu’un simple accompagnement du récit. Comme si le but était de ne pas détourner l’attention du lecteur sur le fond. Pourtant, passées les premières réticences, pour peu que l’on envisage les cases comme de petits tableaux pointillistes à l’ère numérique, on pourra y déceler une beauté envoûtante.

Narré de façon très factuelle, clinique, presque détachée, le récit met en quelque sorte le lecteur dans un état hypnotique. La voix off est-elle vraiment celle du chevreuil ? Et ce tremblement de terre, est-on bien sûr que ce soit lui qui s’exprime ? A moins que ce ne soit la nature, entité multiforme, que notre course à la technologie nous a quasiment fait oublier, nous, membres de la glorieuse espèce humaine, qui semblons parfois vouloir nous substituer à « Dieu ». Cela nous ramène à l’ « Acte de Dieu » du titre, qui ne saurait être envisagé ici au sens religieux du terme. Dieu, c’est peut-être la nature. C’est peut-être l’Homme aussi. Ou tout simplement les deux en même temps.

À la lecture de ce petit album énigmatique, peut-on déduire qu’un tremblement de terre est le résultat d’une action humaine, si anodine apparaît-elle, l’action en question étant la mise à mort d’une « licorne », qui semble revêtir ici un symbole sacré ? Encore une fois, Giacomo Nanni n’explique rien, il expose des faits, suggère, sans jugement, nous laissant maître de tirer des conclusions comme bon nous semble… Plus une œuvre est dans la suggestion et le non-dit, plus il apparaît prétentieux d’en faire l’exégèse. Avec « Acte de Dieu », l’auteur semble au moins nous inviter, nous humains, à la modestie face à la nature et la puissance des éléments. Son livre ne fait que résumer la lutte millénaire entre l’Homme et la nature, et de façon particulièrement troublante.

Laurent Proudhon

Acte de Dieu
Titre original : Atto di Dio
Scénario & dessin : Giacomo Nanni
Editeur : Ici Même
192 pages – 19,50 €
Parution : 11 avril 2019

Acte de Dieu – extrait :

Acte de Dieu – Giacomo Nanni