BEAK>, l’autre groupe de Geoff Barrow, était à la Gaîté Lyrique ce vendredi 24 mai 2019 pour un set trop court mais en tout point impeccable. Récit d’une belle soirée, avec en première partie TVAM.
BEAK>, l’un des secrets les mieux gardés de la musique contemporaine ? Hum, c’est un peu ça, parce qu’un album comme “>>>”, sorti en 2018, aurait dû être un truc énorme, vu ses qualités, et son évidence : on parle là d’une musique qu’on pourrait qualifier aisément, et non sans un peu de provocation, comme “le Pink Floyd des gens intelligents”, et il ne remplit en 2019 QUE la Gaîté Lyrique à Paris. Bon, il la remplit de gens passionnés, de vrais fans qui suivent la nouvelle incarnation de Geoff Barrow (après Portishead) avec un quasi-fanatisme, donc tout ne va peut-être pas si mal pour BEAK>, même si l’on sait que c’est toujours financièrement difficile pour eux après déjà dix ans d’existence.
Mais revenons à cette soirée où, quand TVAM attaque son set à 20h15, la Gaîté Lyrique est toujours quasiment vide, ce qui nous fait douter de la véracité des affirmations venant de la production présentant le concert comme quasi sold out. TVAM, c’est deux mecs et leur télévision, on va dire : la télé en avant au milieu, ce qui n’est pas idéal pour nous au premier rang, et les deux musiciens de chaque côté en arrière. Ah oui, les images de la télé sont quand même retranscrites sur un grand écran au fond, qui, rapidement, ne fonctionnera pas bien, d’ailleurs. Deux musiciens, c’est à dire un guitariste assez inspiré qui “chante” un peu, ou plutôt qui crie / recite / articule des textes inaudibles à travers un système distordant sa voix, et un autre aux machines. Chaque morceau est construit à partir de beats pré-enregistrés sur lesquels la guitare déverse sa lave électrique brûlante, et l’effet est quand même assez intéressant, voire même par moments très réussi.
La musique proposée par TVAM est abstraite mais viscérale, un peu entre le post-rock et la noisy pop, avec des accents très noirs, comme dans l’effrayant Porsche Majeure avec ses vidéos de collisions de voitures. Le guitariste casse une corde très tôt dans le set, l’écran dysfonctionne, privant la salle des titres et des paroles des chansons (au cas où cela intéresse quelqu’un…), le set se paralyse un peu à la longue. C’est beau, c’est une démarche intéressante, mais il manque un petit quelque chose. Peut-être un niveau sonore plus conséquent, plus en ligne avec l’approche musicale ?
21h30 : le trio de BEAK> s’installe tranquillement sur scène : à droite Geoff Barrow derrière sa petite batterie, au centre, sur une chaise, Billy Fuller, avec ses guitares basses, et à gauche, le seul debout, Will Young derrière ses claviers et ses machines, avec de temps en temps une petite intervention à la guitare. On démarre comme sur le dernier album avec l’instrumental The Brazilian, accueilli par une petite ovation de la salle qui a fini en effet par se remplir, un titre qui pose élégamment les bases du concert : c’est la basse qui est au centre de la musique de BEAK> (ce qui n’est pas si évident lorsqu’on écoute les albums…), la batterie construit à la fois la rythmique et la tessiture autour des riffs de basse, et les claviers / la guitare ajoutent des enluminures, entre gargouillis ironiques et mini-explosions vaguement bricolées. Là-dessus, les deux voix, toutes en retenue et en décalage, de Billy et Geoff. Le son est superbe, les lumières confèrent une ambiance presque intimiste, bref, dès les premières minutes, on sait que ce set va être un immense, mais un immense plaisir !
Avec Brean Down (ces titres !), on passe aux choses sérieuses, si l’on peut dire, car les trois quadragénaires de BEAK> ne se prennent surtout pas au sérieux, et rejettent clairement toute approche “professionnelle” de la musique : par rapport à l’album, on va dire qu’on a moins ce sentiment d’étrangeté – qui concourt certainement à limiter l’impact commercial de BEAK> – et au contraire une bienheureuse impression de simplicité, d’évidence, de pure beauté. BEAK>, c’est un peu la “ligne claire” du Post-Rock, une musique qui fait immédiatement danser et secouer la tête comme aux grands jours du krautrock, avec des mélodies souvent bouleversantes, et des pics d’intensité – toujours très brefs, trop brefs peut-être ? – qui créent une sorte de sentiment de transcendance. Oui, c’est vraiment très beau.
Eggdog et The Meader, deux titres plus anciens, nous ramènent un BEAK> un peu plus agressif, plus en angles aigus, mais sur scène, notre trio continue à rigoler, voire à ricaner. Démonstration par Geoff des lumières « achetées pour 80 livres sur e-Bay » qu’il a oublié de brancher au début du concert, mise en boîte des fans qui essaient de communiquer leur amour au groupe, et qui se voient renvoyés dans leurs 22 mètres avec des « on ne comprend rien à ce que vous dites, ne parlez pas tous à la fois, organisez-vous et prenez la queue pour parler en vous envoyant des SMS, etc. ». On sait que Geoff Barrow s’avère parfois une véritable tête de cochon, mais on dirait que ce soir c’est un bon jour, les plaisanteries ne seront pas trop agressives. Geoff doit finalement être heureux de ce succès – même modeste – que le groupe rencontre enfin en France : il nous fera remarquer que la Gaîté Lyrique est la plus grande salle dans laquelle ils auront jamais joué en France, puis, plus tard, rappellera à ses potes que les conditions du concert sont bien meilleures que « l’autre soir… ».
Allé Sauvage (traduction Google de Gone Feral, ce qui assez drôle !) est d’une efficacité redoutable, mais c’est la version imparable de Wulfstan II qui montre la force de la formule BEAK>. Autour de moi, la tension est montée, ça headbangue même pas mal, c’est dire si, de cérébrale, la musique est devenue physique. Petit moment de tension quand même, quand le public proteste lorsque Geoff annonce que ce sera « le dernier titre » : le voilà qui nous jette un « alors, si c’est comme ça, C’ETAIT le dernier titre ! Bon, qu’est-ce que vous voulez, que ça SOIT le dernier titre ou que C’AIT ETE le dernier titre ? »… Heureusement, Geoff ne s’énervera pas plus et ne nous privera pas du sommet de la soirée, le titre pour lequel j’étais venu (ou presque…), le merveilleux When We Fall : aucune déception, au contraire, cette chanson à la mélodie magique est encore transcendée par cette lisibilité scénique qu’a BEAK>. Presque les larmes aux yeux, ce coup-ci.
Après, Geoff nous fait le coup – un peu convenu, c’est vrai – du « on n’aime pas ces conneries de rappel, alors on va dire que c’était le dernier titre du set, que vous avez crié pour qu’on revienne, alors qu’on joue maintenant le rappel ». Avant de se raviser : « J’ai entendu dire que Tame Impala ne faisait plus de rappel, alors il faudrait peut-être que nous, on se mette à en faire, non ? ». Le concert se clôt de manière non conformiste avec Life Goes On, un nouveau titre qui va bientôt sortir, et qui s’avère très accrocheur, et quelque part plus commercial presque que tout ce que le groupe a fait jusque-là. Ce qui nous laisse donc avec le sentiment que Geoff et ses potes ne diraient pas non à un peu plus de succès… On ne leur en voudra pas pour ça… mais en revanche, 1 heure de set, c’était quand même un peu court, un peu radin.
Mais bon, on a préféré ne pas protester, pour ne pas énerver Geoff !
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil / Photosconcerts.com
La setlist du concert de TVAM :
Psychic Data (Psychic Data – 2018)
Narcissus (Psychic Data – 2018)
Bitplain (Psychic Data – 2018)
Porsche Majeure (Psychic Data – 2018)
Gas & Air (Psychic Data – 2018)
These Are Not Your Memories (Psychic Data – 2018)
Total Immersion (Psychic Data – 2018)
Les musiciens de BEAK> sur scène :
Geoff Barrow – drums, voice
Billy Fuller – bass, voice
Will Young – keyboards, guitar
La setlist du concert de BEAK> :
The Brazilian (>>> – 2018)
Brean Down (>>> – 2018)
Eggdog (>> – 2012)
The Meader (BEAK>>> – 2018)
Allé Sauvage (>>> – 2018)
I Know (BEAK> – 2009)
Wulfstan II (>>> – 2018)
When We Fall (>>> – 2018)
Blackdon Lake (Recordings 05/01/09>17/01/09 – 2019)
Life Goes On (new song)