Voici enfin le tome 4 des excellents Cahiers d’Esther : Riad Sattouf a désormais la lourde tâche de retranscrire sans les caricaturer les émois d’une adolescente. Il s’en sort haut la main !
Au quatrième volume, tout le monde connaît désormais le principe des Cahiers d’Esther : chaque semaine, Riad Sattouf se fait raconter une anecdote de sa vie quotidienne par la fille d’amis à lui, et la transcrit en une page, qui est publiée dans « l’Obs ». Une fois par an, les 52 pages sont compilées en un volume – joliment mis en couleurs et plutôt « raffiné », pour respecter le perfectionnisme bien connu de Riad Sattouf. Que cela soit clair, « Esther » n’est pas le vrai nom de notre héroïne, et l’année dernière, une chasse s’est même organisée dans certains collèges des beaux quartiers parisiens pour identifier la véritable inspiratrice de cette BD devenue un véritable phénomène littéraire.
Mais Esther a désormais 13 ans, elle est passée en 5ème, elle a eu enfin l’autorisation de son papa chéri – dont le physique rappelle d’ailleurs un peu celui de l’immortel Pascal Brutal – de posséder son Smartphone ! Logiquement, inévitablement plutôt, Esther a des préoccupations bien différentes de celles de la petite fille qu’elle a cessé d’être, et dont la jolie innocence nous ravissait. La mutation amorcée dans le tome précédent s’accentue : Esther a ses règles, elle se voit imposer un appareil dentaire, elle se maquille, sait se faire belle. Elle reste néanmoins l’enfant généreuse que l’on a aimée, s’indignant devant la pauvreté et l’injustice, ouverte à la différence, et pas encore corrompue par l’ambiance délétère que l’on perçoit bien autour d’elle dans ce collège que sa « bonne localisation » ne protège pas des pires « dérives », sexistes en particulier, malheureusement courantes.
L’une des craintes que l’on pouvait avoir avec cette nouvelle maturité de son personnage, était que Sattouf ne retombe dans cette noirceur quasi nihiliste qui marquait sa série la Vie Secrète des Jeunes, portrait à charge de l’idiotie moderne et de la nouvelle barbarie. Or, il n’en est heureusement rien, et si la bêtise et la violence masculines sont judicieusement pointées ici, l’humeur reste légère et le ton plutôt optimiste : la magie Esther perdure, et l’on croit encore que la famille protège de tout (belles scènes de vacances de Bretagne, rapprochement inespéré avec le grand frère et avec la mère…).
Bien sûr, de nouveaux gouffres de dessinent à l’horizon, qui ne peuvent qu’angoisser les parents naturellement soucieux que nous sommes : la drogue menace, le sexe n’est pas loin, mais surtout nos enfants prennent de plus en plus une allure « d’aliens ». Témoin cette déclaration d’Esther a qui son père propose d’organiser une boum pour ses 13 ans : « Plus personne ne danse au collège. Tu crois que les gens ils dansent ? Crois-moi je connais les gens de ma classe. Ils viendront et feront que regarder leur téléphone, parce que c’est le seul truc qu’ils aiment faire. Ils font ça toute la journée. Tu peux pas comprendre. « Danser » ha ha… » Mais heureusement, le papa qui adore sa fille persévère, et savez-vous ce qu’il advient ? Eh bien les ados vont danser. Les filles au moins…
Remercions donc Sattouf de maintenir ainsi ses formidables Cahiers d’Esther à un tel niveau d’excellence (… et de générosité !) : cette série n’est pas loin de constituer ce qu’il aura fait de mieux à date !
Eric Debarnot