Jean-Louis Bergère sculpte depuis une vingtaine d’années un univers toujours plus riche. Ce qui demeure, son dernier disque sorti il y a peu, est sans aucun doute son oeuvre la plus maîtrisée.
Certaines choses nous réparent, nous aident à nous reconstruire. Parfois, c’est un dialogue dans un film qui nous interpelle, un visage dans un tableau. certains disques nous sauvent de nous-mêmes, le No Song No Spell No Madrigal (2015) de Peter Milton Walsh, le Carrie and Lowell (2015) de Sufjan Stevens. Une phrase doucement et modestement sibylline, c’est exactement cela que l’on rencontre dans Ce qui demeure, le superbe dernier disque de l’angevin Jean-Louis Bergère, cette élégance d’une profondeur qui ne se dit jamais.
Jean-Louis Bergère, on l’avait découvert tardivement en 2013 avec Demain De Nuits De Jours, un album intemporel qui retournait au meilleur de la chanson à textes sans renier des envies de grands espaces. Il y avait en lui quelque chose de Ferré, de Bashung, ce je ne sais quoi d’une langue qui dit l’ombre en n’ayant pas peur d’être aveuglée par la lumière. Ce quatrième album n’est pas bien différent de son aîné de 2013 mais il lui est encore supérieur. On ne saura l’expliquer vraiment mais l’angevin a cette intelligence de nuancer l’angle, d’arrondir le carré, et de distiller l’émotion comme un peintre d’impressions. On pourrait le rapprocher de Mark Linkous (Sparklehorse) pour cette même capacité à nous égarer entre terre et ciel. Pourtant, chez Jean-Louis Bergère, il y a toujours une hésitation entre la poésie et la réalité, on pourrait sans doute parler ici, à la manière de Pierre Mac Orlan, de réalisme poétique. D’une danse comme en équilibre entre les cendres chaudes et une rivière paisible, il repousse les mauvais sorts d’une magie noire sourde (Un autre jour) .
On entendra ici et là à l’évocation de la musique de l’angevin l’affirmation d’une douceur et d’une volonté à chercher le calme. Et si tout cela n’était qu’un faux-semblant largement trompeur qui masquait une inquiétude impalpable et presque pernicieuse mais chez Jean-Louis Bergère, rien n’est clair, tout est symbole. (Inouïe). En cela, il se rapproche sans aucun doute d’une certaine étrangeté, de celle qui habite les disques d’Orso Jesenska.
Que ce soient le Causse Méjean , ce grand géant minéral (Méjean) ou le cavalier bleu (Murnau), l’angevin n’est jamais manichéen mais totalement multipolaire, comme si à trop s’égarer dans la distance, l’on parvenait à s’y retrouver. Il chante d’une prosodie en clair-obscur comme s’il s’appropriait les mots d’un autre, ceux d’un Albert Camus.
Il n’y a pas de soleil sans ombre et il est essentiel de connaître la nuit
Dans l’écriture de Jean-Louis Bergère car ici, on peut bien parler d’écriture car le monsieur, en parallèle de son activité musicale, continue un travail plus littéraire. Dans son écriture donc, depuis toujours, il s’appuie sur la description de paysages comme pour mieux révéler des destins enfouis ou oubliés.On se rappellera le lac d’un Jour sans fin sur Demain De Nuits De Jours où un père imagine le monde de ses enfants après sa disparition. Tout est résumé dans ce titre où l’angevin prouve toute sa capacité à décentrer sa narration, à effacer toute forme de linéarité, hésitant toujours entre contemplation et métaphysique, entre élégie et lyrisme.
Certaines musiques sont immédiatement empathiques, il en est ainsi de celle de Jean-Louis Bergère. Son univers, c’est un peu l’épaule forte du grand frère qui a vécu un peu plus que les autres, les échecs, les réussites, les petites déceptions qui s’ancrent dans l’éternité, les mots non-dits au père maintenant absent, à la fille qui a trop vite grandi. Ce qui se dégage également des chansons de l’angevin, c’est une élégance absolue dans un jeu des sensations. L’auteur de Ce Qui Demeure a retenu la leçon de La Fragilité, le dernier opus en date de Dominique A, laisser s’exprimer la sensualité comme pour mieux en extraire la profondeur.
Choisissant de ne jamais vraiment choisir entre acoustique et Rock mais de toujours rester dans un entre-deux, Ce Qui Demeure nous happe par la force de ses arrangements, l’usage du violoncelle comme la voix de Bergère qui peut tendre vers une forme de maniérisme à la manière d’un autre Jean-Louis, l’auvergnat cette fois. Et puis, il y a la voix plus présente d’Evelyne Chauveau en contrepoint qui introduit subrepticement cette impression étrange de dialogue avec un couple, toujours dégagé de tout risque d’impudeur ou de voyeurisme. La musique de Jean-Louis Bergère est empathique car elle entre immédiatement en sympathie avec nos espaces intimes.
Si vous vous promenez dans les rues de la vieille ville endormie d’Angers, vous serez sans doute surpris par cette lumière irisée, à la fois éclatante et brumeuse. Puis lentement, votre regard traversera les distances, face à vous cette pierre blanche, chaleureuse et taiseuse, le tuffeau… Expressive et timide à la fois, transparente et se perdant dans les reflets de la Loire jamais lointaine. Et si finalement les individus subissaient l’influence des lieux qu’ils habitent ? Et si la pierre nous transmettait un peu de sa force et de sa mémoire ? Jean-Louis Bergère, assurément, est de ceux qui transmettent les souvenirs des paysages, les vôtres, les nôtres, les siens. Un sculpteur tranquille peut-être.
Greg Bod