Vous avez déjà parlé de manière péremptoire d’un livre que vous n’avez même pas lu, d’un film que vous n’avez pas vu ? Jean-Christophe Mazurie se penche sur votre cas…
Il est indiscutable que l’une des nombreuses dérives de notre époque est la facilité avec laquelle nous donnons tous notre avis à propos de sujets sur lesquels nous avons bien peu de connaissances ou de compétences, une tendance encore exacerbée par les réseaux sociaux sur lesquels chacun s’accorde le droit de claironner son opinion (et l’auteur de cette modeste « critique » ne prétend pas se distinguer particulièrement de la « masse » !). Il y a donc fort à parier que bon nombre de ces opinions péremptoires, souvent négatives et quasiment toujours simplificatrices, sont formulées par des gens n’ayant « ni vu, ni lu » l’oeuvre qu’ils descendent en flammes, ou, plus rarement, qu’ils portent aux nues…
Jean-Christophe Mazurie a eu l’idée de faire un livre sur cette amusante (?) tendance à recycler des idées reçues ou des banalités largement partagées, dans le seul but de « paraître » en société et de se distinguer du vulgaire pékin, ou au contraire de mieux s’intégrer. Car quoi de plus facile évidemment que d’affirmer que Angot est nombriliste, Haneke sinistre, Eastwood réactionnaire ou Plus Belle la Vie stupide, sans avoir eu besoin de prendre le temps de les lire / voir ? L’accumulation visiblement sans fin de poncifs, de banalités et de préjugés que propose Ni Vu, Ni Lu est naturellement amusante, et l’effet de miroir – car ne sommes nous pas nous mêmes tombés régulièrement dans ce genre de travers ? – rajoute du piment à l’affaire. Qui ne brocarde pas les livres de Marc Lévy sans jamais en avoir ouvert un seul ? (Oui, oui, ça nous arrive aussi à nous…).
Le problème néanmoins de cette séance de « tir aux pigeons » que s’offre (nous offre…) Mazurie, est que c’est un jeu un peu trop facile… sans même parler du fait que tout cela est rapidement répétitif donc pas si passionnant que ça. C’est paradoxalement quand le livre quitte la caricature facile et adopte de vrais partis politiques ou moraux, bref quand Mazurie arrête de se moquer pour s’engager, qu’il nous intéresse : pointer l’ignominie de Zemmour (en citant Céline…), le systématisme des polémiques de Finkielkraut ou la pauvreté de la « littérature » d’un d’Ormesson est quand même bien plus contondant que de rire de Twilight (… surtout si, dans un second degré bien de notre temps, on rit en fait de ceux qui en rient…). Oui, c’est bien quand on reconnaît une vraie indignation dans une planche de Ni Vu, Ni Lu que ce livre nous intéresse, pas quand il nous caresse dans le sens du poil.
Il nous reste à regretter que le dessin assure simplement le service minimum, voire même parfois moins quand certaines expressions des personnages sont difficilement lisibles. Même si tout le monde ne peut pas être Reiser (et d’ailleurs personne n’est Reiser de nos jours, et il nous manque terriblement…), disons que Mazurie n’a pas (encore) le style graphique qui permettrait à son humour de faire plus systématiquement mouche.
Une conclusion qui s’impose : montrez l’exemple, ne critiquez pas ce livre sans l’avoir lu, simplement parce que vous avez parcouru cette chronique. Car il est fort possible – et absolument souhaitable – que votre avis diffère du nôtre !
Eric Debarnot
Ni Vu, Ni Lu
Scénario & dessin : Jean-Christophe Mazurie
Editeur : Delcourt – Collection : Pataquès
76 pages – 12,00 €
Parution : 29 avril 2019
Ni Vu, Ni Lu – extrait :