Gildas Secretin alias Garden With Lips ressuscite les brumes du Seventeen Seconds des Cure sur Pelissandre, son quatrième album à ce jour.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que certains artistes ne se laissent pas piéger par une recette certes aboutie mais par trop confortable. Chacun des disques de Gildas Secretin ou plutôt Garden With Lips semble être la naissance d’un projet relancé de zéro. Pas un acte de réaction face à ce qui précédait ni un rejet de ce qui a déjà été fait mais plutôt la superposition progressive d’envies et de découvertes frissonnantes.
De Radeau De Bois (2013) et son folk psychédélique, on retrouvera ici le chant chuchoté comme une confidence susurrée. De La Voix De Mon Rêve (2015), Gildas Secretin aura retenu la leçon qu’une maîtrise des arrangements qui ne choisit jamais entre efficacité pop et étrangeté pernicieuse donne à ses compositions une imprévisibilité bienvenue. De La Vie De Court (2016), Garden With Lips a conservé une envie d’expérimentation laissée ici en arrière dans le background. Car autant son précédent album était filandreux et sinueux, autant Pelissandre assume plus une ligne claire qui n’est jamais totalement transparente. A l’origine d’un disque, il y a souvent une envie, une découverte, un coup de cœur ou la réminiscence d’un souvenir enfoui.
A l’écoute de Pelissandre, on imagine aisément Gildas Secretin se replongeant dans le minimalisme brumeux des Cure période Seventeen Seconds (1980). Dès Face Le Monde en ouverture, on y croise les rythmiques sèches et alanguies du In Your House de Robert Smith mêlées à la tristesse latente du Tender Prey (1988) du Bad Seeds en chef. Pourtant, on ne viendra pas chercher ici un disque « à la manière de ». Au contraire, ce qui dégage de la musique de Garden With Lips c’est assurément un particularisme, ce que l’on appelle parfois une identité, un style propre. Ici, on pourrait dire une personnalité. Sauf qu’elle serait troublée par une multiplicité d’autres individus qui habiteraient sa minuscule boite crânienne. Un individu contrôlé par les voix intérieures qui parlent à sa place. Ian Curtis parlait de la perte de contrôle, Garden With Lips la vit totalement.
https://youtu.be/s7g3uIWMsVI
A la base, Garden With Lips était un projet récréatif d’un homme d’images. Gildas Secretin est en effet graphiste de métier. Proche du brestois Arnaud Le Gouëfflec, il est le monsieur qui fait les images du label L’église de la petite folie mais également celle du Festival Invisible, beau rendez-vous musical à la mi-novembre dans la cité du Ponant.D’où peut-être cette impression tenace de juxtapositions de collages, autres miniatures et visions.
Pour ce quatrième album, il a voulu se faire accompagner dès la genèse des chansons et sa rencontre avec Joseph Bertrand alias Centredumonde (autre signature du label) sonne comme une évidence. Le brestois apporte cette monotonie du quotidien, cette morosité sourde qui rit jaune à travers des arrangements qui dérivent souvent comme une barque à contre-courant. L’espace c’est toi rappelle cette description presqu’anecodtique d’une banalité qui se ne cache pas, de celle que l’on retrouve dans les compositions de Centredumonde. Certes, nous oublions peut-être la galanterie en citant Gisèle Pape à la suite du brestois mais sa présence est toute aussi indispensable dans sa discrétion et son chant en contre-point car elle permet à l’auditeur de prêter attention aux infimes particules d’un disque de détails.
Jamais à l’abri d’un paradoxe, du moins ne l’évitant jamais, Garden With Lips joue entre sensualité et froideur, des gouttes sur l’eau que l’on imagine frissonnantes qui brûlent la peau sur L’ondée ressemble en tous points à une relecture, à une interprétation de vieux codes new-wave, un peu à l’image de ce que pouvait proposer Dominique A sur La Musique/La Matière (2009) et sur Nanortalik ou Le Bruit Blanc De L’été.
https://www.youtube.com/watch?v=VOX0HVbdu7M
Plus immédiatement accessible que les trois autres disques de Garden With Lips, Pelissandre conserve toutefois une forme d’énigme, une sorte d’énergie fébrile que l’on ne parvient jamais totalement à contenir, une proposition à dévier des chemins habituels et à s’égarer dans des dédales passionnants.
Greg Bod