En 2012, le Rap Alter’ (Svinkels, TTC, La Caution, Stupeflip…) tirait ses derniers feux et c’est Fuzati qui devait balancer l’ultime pelletée et payer en plus les obsèques. Le Klub vient faire le lien entre un Rap Old School plein de boucles Jazzy et de scratchs inspirés, et des textes sombres, désespérés, d’un pessimisme amoureux Houellebecquien.
Le style du Klub détonne dans un Rap Game plein de testostérone et de punchlines en dessous de la ceinture. La Fin de l’espèce dans la bouche de Fuzati, plus qu’un titre, une prémonition ? Un souhait ?
Mes à priori sur le « Peuh-ra » Français ne datent pas d’hier.
J’ai été adolescent à une période ou il fallait absolument être musicalement identifiable. Où si tu laissais pousser tes cheveux, tu ne pouvais qu’écouter Metallica, et si ton pantalon était trop grand pour toi, tu ne pouvais qu’être fan d’IAM ou NTM. Malgré mon accointance charnelle avec le Rock, j’ai toujours été attiré par la culture Hip-Hop.
Mais Ricain le Rap, Ricain !!
En effet, le Rap Français et moi n’avons jamais été très pote. Même les grands noms de notre Rap Hexagonal ne m’ont jamais vraiment fait frémir l’écouteur. Ni NTM, ni Assassin, ni IAM ou les autres – dont je reconnais indéniablement le talent – ne m’ont fait balancer la tête et faire « Yeah-ya » comme un beat du Wu-Tang, Mobb Deep ou les Beastie Boys.
Ce Rap Français, dont les légendes avaient pourtant réussi à faire reconnaître ce genre musical et à l’installer durablement sur les ondes nationales.
Ce Rap là déclinait, insensiblement.
Depuis les semi-retraites des vétérans du flow, la qualité baissait d’années en années.
Pas grand chose à quoi se raccrocher. Notre Hip-Hop hexagonal était au plus bas. Obligé de s’inventer des guéguerres de bacs à sable où Booba et La Fouine se disputent pour savoir qui a la plus grande, et faire un peu de buzz au passage. Où ce bon vieux Maître Gims (qui ferait passer Benny B pour Mos Def) squatte nos ondes et les murs des chambres de nos gamines avec son Rap de supermarché et son flow d’animateur de TF1.
« Erehaimebi », du « èrehaimebi », que du « èrehaimebi »!!
Marre de ce R’n’B volant ça et là une idée, un flow, un beat, et qui insidieusement ronge les bases pourtant solides d’un Rap attaqué de toutes part par ces bêtes à pognon.
Et puis un jour flânant sur quelques sites où la musique est encore gratuite, je découvris un certain Fuzati et son Klub des Loosers. Et là, le choc !
Tout d’abord Fuzati c’est un flow. Un flow particulier, petit bourgeois et dépressif à souhait. Un rythme surprenant, une respiration sur le fil.
Des samples originaux et des boucles ciselées par les mains d’orfèvre de Dj Detect, illuminent la noirceur des textes de Fuzati et parvient à les faire briller comme pourrait luire un diamant perdu, planté dans la boue.
Et puis il y a les textes. Ces textes que l’on sent travaillés à l’excès. Ce désenchantement qui parcours tout l’album. Cette sortie de l’adolescence, le peu d’espoir qu’il restait et qui s’évanouit dans les limbes d’un monde adulte cannibale et désincarné.
Fuzati c’est un looser. Pas ce looser fier de lui, traînant, à l’image d’Orelsan, cette « loose attitude » comme un style, un étendard. C’est pas cool d’être un looser chez le Klub. Ça fait mal, putain ! On en prend plein la gueule. Y’a rien de sympa !
C’est ce putain de mal-être qu’il traîne derrière lui.
Cette conviction que quoiqu’on fasse rien ne changera. Que les femmes, excepté dans les rêves d’Aragon, ne seront jamais l’avenir de l’homme et que c’est pas leurs mômes, futurs beaufs décérébrés biberonnés au Nutella et à la téléréalité, qui vont faire bouger le schmilblick.
Ce discours anxiogène, ironique et désabusé change fondamentalement les règles du discours classique du Rap Français. Fini la solidarité, face à la vie ou à la police. Fini la dénonciation d’un système pourri et foncièrement injuste. Chez Fuzati ces états de faits sont digérés depuis bien longtemps…
Bien avalés et digérés ces rêves et ces utopies, ces espérances d' »Un monde de demain » meilleur… Bien avalés, bien digérés… pour mieux dégueuler ce désespoir, ce cynisme et cette solitude éternelle de l’homme, dont la phrase : « ..Je lève parfois mon verre, mais ne trinque jamais à la votre… » en est le plus bel exemple.
Renaud ZBN
Klub des Loosers – La Fin de l’espèce est sorti le 5 mars 2012 sur le label Les Disques du Manoir.