Le grand méchant loup est bel et bien de retour dans notre douce France et il a une faim de… carnassier affamé ! Une confrontation réaliste et passionnante entre l’animal et un berger à cran…
Dans le massif des Écrins, un berger se désespère face aux attaques des loups contre son troupeau. Un jour, à bout de nerfs, il abat une louve qu’il surprend en train d’égorger un mouton, laissant son louveteau livré à lui-même. Celui-ci va néanmoins survivre et atteindre l’âge adulte. C’est alors que viendra le temps de l’affrontement, car comme l’humain, le loup n’oublie jamais…
Après le très remarqué Ailefroide, qu’il avait publié l’an dernier en collaboration avec Olivier Boquet, Jean-Marc Rochette rend une fois encore hommage à la montagne, s’inscrivant dans la tradition des récits à la Frison-Roche où l’homme se retrouve seul, confronté à l’immensité, à la nature, aux bêtes sauvages, et in fine, à lui-même. Pas sûr que le genre soit vraiment renouvelé ici, mais l’histoire, très bien menée, se lit sans déplaisir. Les personnages, ou plutôt le personnage, celui de Gaspard (on ne voit que lui pendant la majeure partie du récit) sauf si l’on est antispéciste primaire et que l’on considère le loup comme tel (je blague, je blague…), paraissent assez crédibles, même si la psychologie du vieux berger reste un peu taillée à la serpe…
Reste que sur le fond, cette confrontation entre l’homme et le loup reste captivante, brouillant les frontières séparant l’humanité de la sauvagerie, nous faisant pénétrer une zone inconnue de nous, citadins, où l’homme redevient animal et où l’animal se fait homme. Ici, le loup n’est pas tout à fait le monstre sanguinaire des contes de notre enfance. Tout comme l’homme, il sait se montrer rancunier mais aussi faire preuve d’empathie quand il sent la détresse humaine. Car après tout, le loup n’est qu’un chien resté à l’état sauvage… Rochette a probablement dû longtemps étudier le comportement du canidé pour concevoir une telle histoire, une histoire de haine féroce transformée en histoire d’amitié qu’Herman Melville, l’auteur de Moby Dick, n’aurait pas reniée. « C’est une histoire entre le loup et moi. » dit Gaspard lui-même, à l’instar du capitaine Achab vis-à-vis du cachalot qu’il suit à la trace.
Quant au dessin, qui semble avoir été réalisé au couteau, il colle parfaitement avec l’âpreté du récit, avec ce côté vintage voire intemporel qui place le livre aux côtés des classiques du genre, quand bien même il n’atteint pas la puissance du roman précité. Mais le rendu des expressions, celle du loup notamment, oscillant entre la douceur d’un chien de compagnie et la férocité la plus primale, est impressionnant de réalisme. Et c’est davantage ce qui marque ici, bien plus que le texte, se contentant la plupart du temps d’être descriptif.
Le Loup, c’est une histoire simple, un récit humaniste (je ne dirai pas « écologiste », ce qui pour certains apparaîtrait peut-être comme un gros mot), qui, au lieu d’être dans le jugement, cherche à comprendre une problématique qui fait régulièrement surface dans l’actualité : la réintroduction des loups dans des zones où ils avaient depuis longtemps disparu et les conséquences parfois dramatiques pour les éleveurs. Oui, le loup a le droit d’exister dans la nature. Oui, le berger a des raisons d’être excédé. Mais n’y a-t-il pas une voie médiane pour permettre à l’animal et à l’homme de coexister de façon viable, sans que la légitimité de l’un ne soit remise en question au détriment de l’autre, à l’heure où l’extinction des espèces animales atteint un rythme effréné ? La vraie question serait peut-être : ça se passait comment avant ?
Laurent Proudhon
Le Loup
Scénario & dessin : Jean-Marc Rochette
Éditeur : Casterman
112 pages – 18 €
Parution : 15 mai 2019