En 5 épisodes glaçants et sans pathos, la série Chernobyl revient sur les événements de 1986 pour mieux comprendre comment on est passé à côté d’une catastrophe bien pire encore.
On se rappelle tous de ce que l’on faisait le 11 septembre 2001 ou le 13 novembre 2015. De la catastrophe de Tchernobyl que l’on n’apprit que quelques jours plus tard, il serait difficile d’évoquer le souvenir du choc tant le gouvernement français de l’époque chercha à nous endormir avec son nuage baladeur mais ô combien francophile. Je conserve toutefois un souvenir que je vais partager avec vous. en ce mois d’avril 1986, je suis en classe de 3ème et on ne peut pas dire que les sciences soient les matières qui me passionnent le plus et en particulier la physique-chimie à laquelle je n’entends rien. Mon professeur de physique, un vénérable monsieur un peu rondouillard nous parle ce jour de l’énergie nucléaire alors que sans doute, sans que nous le sachions le drame est déjà en cours du côté de la lointaine Pripiat. Pour lui, l’énergie nucléaire est l’énergie la plus propre et la moins risquée. Quand une semaine plus tard, nous le retrouvons en cours après les événements connus, en sale gosse insolent, je ne résiste pas à lui rappeler ses propos sentencieux sur la sécurité de la dite énergie… En 2011, lors de l’accident nucléaire à Fukushima, ce professeur de chimie me revint à l’esprit.
Pour ceux qui pensent que le nucléaire est la solution d’avenir pour notre capital énergétique, la série Chernobyl vient poser un constat magistral et pertinent. Créée par Craig Mazin pour HBO, cette mini-série en cinq épisodes est portée par un casting à la sobriété exemplaire. On retrouve en particulier le couple de Breaking The Waves (1996) de Lars Von Trier, Emily Watson et Stellan Skarsgard mais aussi Jared Harris déjà repéré dans l’également excellente The Terror en capitaine Croizier sur Amazon Video (On annonce d’ailleurs une saison 2 pour août prochain).
Chernobyl évite tous les écueils qui auraient pu la faire basculer du mauvais côté. Aucun misérabilisme appuyé par une musique lacrymale, nul cliffhanger haletant qui maintient l’attention. Chernobyl est une série sèche, aride qui ne cherche jamais à charmer ou faire des effets de manche. Elle installe un processus inexorable, glaçant et terriblement effrayant. Se refusant à tout didactisme, elle nous saisit comme un long hurlement étouffé.
C’est le réalisateur suédois Johan Renck qui se charge de mettre en images ce cauchemar. Si son nom vous dit quelque chose, c’est sans doute car vous l’avez croisé dans les génériques de Breaking Bad, ou Game Of Thrones mais il est aussi le créateur des images du clip de Black Star pour David Bowie.
Avec une belle intelligence, la série évite le sensationnel et le spectaculaire pour privilégier le souci d’une chronologie exigeante. Elle multiplie les points de vue, ceux de Boris Chtcherbina, vice-président du Conseil des ministres et chef du Bureau des combustibles et de l’énergie joué par Stellan Skarsgard qui ne prend pas bien conscience au début de l’ampleur de la catastrophe,celui de Valeri Legassov, directeur adjoint de l’Institut d’énergie atomique de Kourchatov et membre de l’équipe ayant tenté d’apporter une solution à la catastrophe de Tchernobyl qu’incarne avec rigueur Jared Harris. Celui de Ulana Khomyuk portée à l’écran par Emily Watson, personnage fictif, scientifique de l’Institut de l’énergie nucléaire de l’Académie des sciences de la RSS de Biélorussie, qui devient membre de l’équipe chargée de l’enquête qui tenta d’expliquer les dysfonctionnements à la base de la catastrophe de Tchernobyl. On y évoque aussi le sacrifice en pure perte des mineurs pour tenter d’enrayer le processus ou encore de ce que l’on a appelé les liquidateurs de Tchernobyl.
En multipliant les points de vue mais aussi les espaces-temps, Chernobyl ressemble finalement à l’autopsie rigoureuse et terrifiante d’un événement que le secret entoura à l’époque, la faute à un régime soviétique qui ne connaissait pas encore la transparence, la faute à des intérêts économiques et énergétiques dans l’Europe occidentale. Car il y a bien plusieurs espaces-temps dans Chernobyl, celui de l’action face à la catastrophe, celui de l’enquête et du procès avec cette scène magistrale de pédagogie où Valeri Legassov (Jared Harris) analyse les raisons du processus à l’aide d’un tableau à la limpidité implacable.
Autre personnage important de cette série, c’est assurément la musique de Hildur Guðnadóttir, collaboratrice de Mùm, Sunn O))) ou encore Throbbing Gristle. Mais son travail sur Chernobyl évoque surtout celui de Johann Johannsson avec qui elle enregistra de nombreux disques. On pensera en particulier dans cet univers oppressant et porté par un rythme sec et des drones gémissant à la B.O de Sicario (2015) ou celle de Premier Contact (2016) pour Denis Villeneuve. Hildur Guðnadóttir choisit de ne pas choisir entre la lancinance du Nau Ensemble ou d’Arvo Pärt et les miasmes épais de Stephen O’Malley.
Absolument magistrale de bout en bout, Chernobyl dérange et nous saisit d’effroi avec son constat lucide et inéluctable, elle choque à tel point qu’elle provoque un débat houleux en Russie entre tentation complotiste et envie de planquer les événements sous le tapis. On ne saura trop conseiller en complément le documentaire La Bataille de Tchernobyl, sorti en 2006 pour les vingt ans de la catastrophe.
Sous son sarcophage de béton, la bête n’est pas vraiment éteinte, à peine endormie, cette mini-série vient nous le rappeler avec maestria.
Greg Bod