Alors que la presse et la bulle latinophile n’a d’yeux et d’oreilles que pour Rosalía, il est important de réaliser que d’autres univers, tout aussi novateurs, et peut-être émotionnellement plus riches, existent. Cambio, le premier album de La Chica est le parfait exemple d’un métissage accompli ; aussi bien musical qu’idiomatique.
Même si chez la chanteuse franco-vénézuélienne, l’idiome espagnol domine, l’intrusion de l’anglais dans son univers n’apparaît pas du tout déplacé ; avec par exemple un titre comme Drink qui n’a rien à envier aux productions U.S. sévissant sur le dancefloor.
Les compositions évoluent entre électro, pop y cancíon latina ; passant des rythmes prégnants comme Mis pies à des mélodies plus mélancoliques comme le poignant Sueños : « Los sueños no son como antes cuando era niña paseando con mil ideas. Cielos de sangre ahora se forman, mi pecho es el abrigo de esa tormenta ».
La force de l’album tient bien sûr dans l’interprétation mais aussi dans la richesse des rythmes et des instrumentations, s’accordant toujours à merveille avec la voix, qui n’hésitent pas à explorer les différentes cultures musicales offertes à la palette de la compositrice et chanteuse. Elle sait les entremêler dans un tempo parfaitement maîtrisé et une durée adéquate pour chaque titre ; ainsi l’album nous tient dans son univers du début à la fin.
La Chica Belleville, comme son nom l’indique et le précise, est inscrite dans un paysage naturellement marqué par le métissage. Sophie Fustec use sans vergogne d’un verbe percutant, n’hésite pas à parler cru, évoquant par exemple la misère et l’injustice ; mais toujours avec humilité, grâce à la distance qu’impose sa poésie si parfaitement en adéquation avec sa voix : « No voy a inventar un nuevo discurso, ni ideas para cambiar el comportamiento humano, voy a pedir perdón al cielo, tierra, aire, sol ».
La Chica est partie prenante du changement qui se joue en ce moment dans la chanson et la pop internationale ; aussi bien anglophone qu’hispanophone d’ailleurs : un métissage mouvementé, réinventant au filtre de l’electro les rythmes ancestraux qui sont inscrits dans notre inconscient et notre imaginaire. Profitant de sa voix captivante pour donner du relief au monde et porter haut les couleurs de ses intentions, La Chica devine un changement, l’appelle du plus profond de ses incantations : « Los que toman decisiones tienen el sol a la espalda, nosotros tenemos el sol al frente, al cielo le pido un cambio ».
Dionys Décrevel