D’autres auraient pu prendre une retraite méritée ou se reposer sur leurs lauriers après une discographie où s’amoncellent les chefs d’oeuvre. Bill Callahan, lui, prend tous les risques avec Shepherd In A Sheepskin Vest et signe encore une fois une oeuvre magistrale.
Bill Callahan ,disparu depuis bien trop longtemps, revient avec un disque généreux, Shepherd In A Sheepskin Vest, six ans après Dream River (2013), autant dire une éternité.
A la première écoute, on croit entrer en territoire connu mais lentement, on se rend compte que les décors ont un peu changé, presqu’insensiblement. Un pas grand chose, quelque chose dans les petits détails. Autrefois, il y avait ces grands rideaux sombres qui ne laissaient pas entrer la lumière dans la chambre close, aujourd’hui, l’air y est moins vicié,on entend des rires d’enfants, le pas d’une mère dans le couloir d’à côté. Les pièces sont ouvertes, le travelling glisse doucement vers une plage en contrebas d’une petite route. Toutefois, comme toujours chez Bill Callahan, l’apaisement est toujours un mirage à double fond, le chien noir de la dépression continue de le suivre à distance, en menace latente. Une oreille inattentive entendra sûrement le disque posé d’un père de famille mais celui qui s’y plongera plus profondément retrouvera derrière les arrangements plus accueillants la sécheresse janséniste de l’ancien Smog. Un petit indice peut-être dans la production de la voix sur le titre inaugural Shepherd’s Welcome où le chant de Callahan se dénude de tout filtre comme pour mieux s’affirmer dans une veine naturaliste. Faudra-t-il entendre une sorte de manifeste dans cette modification de la présence de la voix dans la structure des titres ? Elle qui était souvent en creux, à distance dans les chansons se retrouve sur Shepherd In A Sheepskin Vest au centre de la structure mélodique.
Shepherd In A Sheepskin Vest est un disque étrange comme bien d’autres albums de Bill Callahan, il est marqué par deux pôles, la naissance d’un enfant et la mort de sa mère des suites d’un cancer en 2018. Taraudé par ces deux pans de la vie, par ces exacts opposés, Shepherd In A Sheepskin Vest hésite toujours entre la plénitude et l’apitoiement, ce qui en fait une collection de chansons délicieusement poignantes et bancales.
On connaît l’adoration que voue Bill Callahan au travail de son aîné Mickey Newbury et on en entend quelques échos dans cette Country pastorale. Ce qui est nouveau dans Shepherd In A Sheepskin Vest, c’est sans contexte ces textes plus directs, moins marqués par un voile qui masquait mal une pudeur profonde. Bill Callahan n’hésite pas à frôler l’anecdotique, prenez Writing comme une déclaration d’amour à l’envie d’écrire. Ce qui est notable également, c’est ce caractère plus ramassé dans la composition, cette concision dans le propos, cette envie d’économie dans l’écriture. Pas si éloigné dans son schéma ouvert de Red Apple Falls (1997) ou de A River Ain’t Too Much to Love (2005) pour son interrogation sur le rapport à la cellule familiale, Shepherd In A Sheepskin Vest est un grand disque à l’académisme de façade, au classicisme en trompe l’œil.
Plus immédiat qu’ Apocalypse (2011) dans sa rugosité, Shepherd In A Sheepskin Vest pâtira peut-être lors des premières écoutes de son accessibilité trompeuse. Mais il faudrait faire preuve d’une belle mauvaise foi pour ne pas entendre la menace sourde et la beauté grise qui se distillent dans chacun de ces titres. Rien n’est jamais simple chez Bill Callahan, prenez Released et sa déstructuration inquiétante et mouvante ou Son Of The Sea à l’intranquillité qui ne dit jamais son nom. Callahan pioche ici chez Neil Young, là chez Rod McKuen pour un disque qui s’avère diablement aventureux.
Combien d’autres se seraient laissés tenter par la facilité et la prudence ? Bill Callahan prend le risque du confort, le péril de la douceur comme pour mieux attirer comme des parasites l’envers des choses et ajoute un nouveau chef d’oeuvre à une discographie qui en contient déjà tant. Car oui, même si je vous habitue parfois (souvent) à une certaine emphase, je n’en perds pas pour autant un esprit critique, assurément Shepherd In A Sheepskin Vest est un des grands disques de 2019, peut-être même le meilleur…
Greg Bod