Jeudi soir, dans une Elysée Montmartre bondée et à donf’, Fat White Family a réalisé une impressionnante démonstration de force, tout en s’éloignant de sa jeunesse punk terrible…
Ah ! La Fat White Family ! L’Angleterre éternelle, celle qui n’a pas nullement besoin de Brexit pour être singulière, à la fois profondément dérangée et paradoxalement attirante. Il y a l’attitude très rock’n’roll des musiciens, à base de drogues dures et d’une incontournable arrogance, mais surtout une musique difficile à classer, entre guitares punks et danse frigorifiée. Le nouvel album, Serf’s Up!, est d’ailleurs très réussi, comme du LCD Soundsystem profondément neurasthénique mais aussi ouvert aux grands espaces morriconiens. Il est donc logique que FWF remplisse désormais complètement une salle de la taille de l’Elysée Montmartre, une salle de taille conséquente, accueillant des groupes déjà consacrés.
19h55 : Des Français qui honorent la Géorgie (à moins que ça ne soit l’Azerbaïdjan, mes notions linguistiques trouvent leurs limites dans ce coin de l’ex-Union Soviétique « entre la Mer Noire et la Mer Caspienne »…), pourquoi pas ? Un trio (guitare et claviers, basse et claviers, machines) arborant noms et vêtements « exotiques », jouant une musique refusant – et c’est plus que louable – le folklore et les étiquettes : de l’électro aux vagues sonorités slaves, du rock orientalisant quand Murman Tsuladze nous la joue dur, des poussées disco pour faire danser le public – amis et familles ont l’air d’être dans la salle -, pourquoi pas ? On parle tantôt en français tantôt en… langue locale (mais quelle langue locale ?), on fait pas mal de vannes pas forcément très drôles. Ça dure 40 minutes, un peu trop longtemps sans doute car l’inspiration est inégale. Murman quitte peu à peu ses vêtements, et des filles dans la salle crient « à poil », c’est un juste retour des choses après toutes ces années de machisme. Mais, à force d’hésiter entre viande et poisson, voire même de choisir l’option végétarienne, tout ça n’a pas grand goût. Bref, on aime bien le concept – le post-soviétisme, en mélangeant une ironie vaguement surréaliste et de vraies ambitions musicales – derrière Murman Tsuladze (le groupe), mais sa réalisation laisse encore à désirer.
21h05 : c’est avec une quinzaine de minutes de retard sur l’horaire prévu que le septette originaire de Peckham, un quartier particulièrement agité du Sud-Est londonien, monte sur scène. Les musiciens sont quasi alignés sur scène, avec Lias Saoudi au centre, son frère Nathan aux claviers tout à droite de nous, et Saul Adamczewski, le second chanteur, à la droite de Lias (donc à notre gauche, si vous me suivez…). Fat White Family, c’est une troupe bigarrée, collectionnant les looks improbables, certains d’une maigreur évoquant l’usage abusif de substances illégales… Mais tous les regards sont attirés immédiatement – et resterons fixés pour toute l’heure et dix minutes qui va suivre – sur Lias, hiératique dans son costume, la boule à zéro et le regard perçant, sans qu’aucun sourire ne se dessine sur son visage.
Le set démarre par When I Leave, clairement pas l’un des meilleurs titres de Serf’s Up!, et pourtant… ! Pourtant… sur scène, cette musique acquiert une puissance incroyable : est-ce l’effet des guitares, beaucoup plus présentes que sur disque, ou bien la voix de Lias, plus autoritaire, plus impérieuse plutôt, ou bien encore la cohésion de ce groupe bizarre, assemblage disparate qui me rappelle – sans que je sache vraiment pourquoi – les Bad Seeds des années les plus vénéneuses de Nick Cave ? En tout cas, il est clair que FWF est capable de transcender en live même les chansons les moins impressionnantes de son répertoire.
Les deux titres suivants effectuent le traditionnel flashback qui rassurera les spectateurs nostalgiques des débuts plus chaotiques du groupe, mais c’est au quatrième morceau, l’irrésistible Fringe Runner que Lias passe aux choses sérieuses : ayant déjà tombé la veste (la chemise suivra bientôt, et le reste du concert sera assuré torse nu…), Lias descend dans la fosse au contact avec son public déjà passablement déchaîné et orchestre le chaos général. Sur Fringe Runner, les similitudes avec LCD Soundsystem sont frappantes, sauf que James Murphy est sans doute trop intellectuel, trop nourri de références pour parvenir à ce type de musique totalement viscérale, que FWF produit naturellement… A la fin, Lias nous lâchera enfin son premier sourire !
Billy’s Boyfriend, morceau assez atypique, vient calmer le jeu un instant, mais un instant seulement. Après Hits Hits Hits, c’est l’apothéose de la soirée avec le terrassant Feet, d’une majesté époustouflante, le genre de chansons qui illumine littéralement l’année musicale (un gag néanmoins, au moment de démarrer Feet, on se rend compte que le frangin Nathan a disparu, visiblement sorti de scène d’urgence pour un « natural break » pressant !).
A partir de là, disons que l’Elysée Montmartre aura basculé dans la frénésie. D’ailleurs le service d’ordre, sans doute plus très habitué aux « vrais » concerts de Rock, panique visiblement devant le flot pourtant pas très nourri de slammers. Lias entre régulièrement dans la foule pour exciter ses fans. Quand on en arrive au formidable single – avec ses connotations T-Rex très excitantes -, Tastes Good with the Money, Lias a d’ailleurs été complètement englouti dans la fosse, laissant la scène libre à… l’ami Baxter Dury qui nous fait là une belle apparition surprise !
C’est ensuite le tour de I Believe in Something Better, un titre certes bien troussé mais qui n’attire pas plus que ça l’attention sur l’album, mais devient une claque magistrale sur scène. Le set se termine – quoi, déjà ? – par un dernier coup d’œil dans le rétroviseur avec un Is It Raining in Your Mouth en forme d’apothéose. Et le groupe disparaît dans les coulisses…
Il n’y aura pas de rappel, et la salle mettra longtemps à se vider tant nul n’a envie de mettre déjà fin à la soirée. J’imagine que les fans purs et durs de la première heure vont regretter les sommets d’énergie punk qu’atteignait le groupe sur scène à sa « grande époque », mais il faut admettre que, dans cette nouvelle maturité, ou tout du moins cette apparente stabilité que le groupe semble avoir trouvée après un quasi éclatement, et après un possible sevrage des drogues dures, Fat White Family reste l’un des groupes les plus importants de sa génération.
Bref, si vous n’étiez pas là à l’Elysée Montmartre ce jeudi 13 juin, eh bien disons que vous avez eu salement tort !
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot
https://www.youtube.com/watch?v=P2-H5hFZui4
Les musiciens de Fat White Family sur scène :
Lias Kaci Saoudi – vocaux
Saul Adamczewski – guitare, vocaux
Nathan Saoudi – claviers
Adam J. Harmer – guitare
Sam Toms – batterie
Adam Brennan – basse
Alex White – claviers, saxophone, flûte
La setlist du concert de Fat White Family :
When I Leave (Serfs Up! – 2019)
Tinfoil Deathstar (Songs for our Mothers – 2016)
I Am Mark E. Smith (single – 2014)
Fringe Runner (Serfs Up! – 2019)
Bobby’s Boyfriend (Serfs Up! – 2019)
Hits Hits Hits (Songs for our Mothers – 2016)
Feet (Serfs Up! – 2019)
Touch the Leather (single – 2014)
Goodbye Goebbels (Songs for our Mothers – 2016)
Whitest Boy on the Beach (Songs for our Mothers – 2016)
Cream of the Young (Champagne Holocaust – 2013)
Tastes Good With the Money (Serfs Up! – 2019)
I Believe in Something Better (Serfs Up! – 2019)
Is It Raining in Your Mouth? (Champagne Holocaust – 2013)