Aprés Ichiru (2017), le japonais Daigo Hanada nous émerveille une fois encore avec Ouka et ses perles en suspension autour de son piano.
C’est étrange comme certains disques nous accompagnent au jour le jour presque malgré nous, c’est le cas pour moi avec Ichiru, le premier disque du japonais Daigo Hanada découvert en 2017. Vous savez, ce genre d’objets sonores qui s’immisce en vous sans s’inviter au préalable pour ne plus vous quitter. Il en est ainsi des disques de Richard Skelton, de ceux d’Andy Cartwright alias Seabuckthorn qui n’en finissent pas de jouer avec des circonvolutions dronatiques et de nous happer dans leur sillon. Il faudra désormais compter également sur le japonais Daigo Hanada qui vient confirmer avec Ouka, une fois encore sorti sur le label canadien Moderna Records, toutes les espérances qu’Ichiru avait annoncées.
Certains disques sont accueillants comme des amis que l’on retrouve 20 ans plus tard comme si on s’était quitté hier. On reprendrait le fil d’une conversation entamée il y a si longtemps, un échange que l’on a mille fois rêvé de reprendre, dont on a imaginé la suite. Avec Ouka, on retrouve l’ami Daigo Hanada là où on l’avait quitté. Dans une pièce que l’on imagine forcément lumineuse, peut-être un feu de cheminée non loin qui crépite sporadiquement un craquement tranquille. Autant Ichiru diffusait la clarté du jour, autant Ouka semble habité par la nuit, une nuit jamais menaçante mais au contraire portée par un lyrisme assumé et modeste. Suivant le toucher de Maurizio Pollini sur les Nocturnes de Chopin, Daigo Hanada semble répondre à la devise de son label : Instrumental landscapes within sound geometry. Car assurément, on devine des paysages dans la musique du japonais, un grand ciel étoilé, les rives d’un lac, un lieu incertain mais tranquille.
Ce qui est remarquable à l’écoute d’Ouka, c’est cette naïveté assumée et cette simplicité dans le propos qui ne rend le disque que plus empathique et plus immédiat. Proches des travaux de Keith Kenniff (Goldmund) ou du Wintermusik (2009) de Nils Frahm, Daigo Hanada semble vouloir délester sa musique de tout effet dérisoire pour ne conserver que l’essentiel. Son univers exclusivement instrumental n’en est pas moins généreux en émotions. On y entend le manque et le déracinement, le regret et l’oubli. Installé depuis 2015 à Berlin, le japonais scrute les nuages qui défilent à la recherche des siens.
L’écrivain Delphine Lamotte dit dans Il y a des vies (2003) :
La contemplation, c’est suspendre le temps à coups de beauté
Cette phrase est tellement juste et illustre à merveille les propos sibyllins de Daigo Hanada dans ce disque miraculeux. Car Ouka, comme toutes les œuvres sensibles, nous apprend sur nous-mêmes comme un miroir sonore tendu par une grâce infini. On entre dans les paysages de Ouka comme on entre dans une nuit intérieure avec un jeu de piano qui laisse une belle liberté et à l’auditeur et à la suggestion. Jamais dénué d’un certain mysticisme ou plutôt d’un animisme, la musique de Daigo Hanada révèle le silence sous l’écorce, la fragilité du vent et la douceur d’une nuit d’été.
On entre à nouveau dans des enthousiasmes adolescents, on se déleste de nos ironies passagères, de nos déceptions rances pour retrouver une forme de virginité et osons le dire une innocence. C’est sans doute cela que l’on cherche dans le lyrisme si typique des japonais, que ce soient les productions du label Schole Records et plus particulièrement les travaux d’Akira Kosemura ou ceux de Piana, ces univers musicaux confinent à des comptines à la fois accidentées et perturbées, un éloge de la lenteur.
Certains disques nous poussent dans un élan vital à rentrer à l’intérieur de nous, Ouka de Daigo Hanada ne choisit pas, il propose à la fois un miroir et la tentation de lever les yeux vers le ciel et de s’y perdre avec délectation.
Greg Bod