L’ex Da Capo Nicolas Paugam continue d’inventer de nouveaux codes pour une Pop étrange, ensoleillée et volontiers régressive. Le Ventre Et L’Estomac, son dernier opus navigue à vue entre art brut et bricolage heureux.
En « Pop », il y a autant d’écoles qu’il y a de sensibilités humaines. Si on devait chercher à définir celle de Nicolas Paugam, on serait certes bien en peine de le ranger consciencieusement dans une case, une étiquette gentiment bankable mais terriblement étroite. Tout chez lui est incertain jusque sa voix qui ne cache jamais ses limites. Si vous cherchez une noirceur frontale, un spoken word sec, passez votre chemin mais vous aurez bien tort !
Le Ventre Et L’Estomac comme les autres disques solo de l’ancien Da Capo ressemblent en bien des points à une rencontre improbable entre Pierre Vassiliu et Jonathan Richman.Pour autant, jamais on ne pourra ranger l’univers de Paugam dans une ligne claire ou alors ce serait une ligne claire qui se ferait la belle et partirait en vrille, en cercle. S’acoquinant à un Brésil de pacotille, Nicolas Paugam évite le polissé et succombe souvent à ses névroses, le rire est souvent associé à la menace. Malgré des ambiances apaisées et presque languides, on sent sourdre une psyché dérangée. Cela chante l’alcool bue jusqu’à la déraison, les dérives déçues, les accidents de vie, le tout affirmé avec un sourire presque narquois.
Il ne faudra pas se faire avoir par ce filou de Nicolas Paugam qui leste ses chansons d’une naïveté en trompe l’œil du genre » regardez, je vous raconte un quotidien insignifiant » alors que chacune de ces vignettes sait installer une dramaturgie d’une belle pertinence. Imaginez un Souchon qui aurait gobé quelques substances illicites, un Dutronc travailliste et surtout besogneux et vous aurez un semblant d’idée de l’univers brinquebalant de Nicolas Paugam.
Il ne faudra jamais se laisser piéger par cette naïveté qui ressemble finalement plus à de l’élégance d’une pensée qui ne cherche jamais à s’imposer. Tout au long d’un disque bien plus structuré qu’il ne veut nous laisser croire, Nicolas Paugam s’emploie à poser un regard lucide mais distancié sur ce qui l’entoure sans jamais rien appuyer. Prenez le superbe Tu Savais tu savais et ses paroles suggestives.
Excentrique ? Tropicaliste ? Régressif ? Et si Nicolas Paugam était cela et bien plus encore ? Tout au long de ce quatrième album, il semble hésiter entre des tentations d’académisme (en mode Paugam quand même) et des mélodies en chausse-trappe. Rendez-vous au sommet transporte le Joe Dassin de nos chères années 70 vers des ailleurs improbables. Le monde de Nicolas Paugam, c’est cet espace à la marge de la page blanche, ces quelques mots griffonnés hâtivement, ces bribes d’idées jetées-là, On pensera à un Super Fury Animals qui n’aurait pas payé sa facture d’électricité et même si il doit s’amuser des clichés qui commencent à s’accumuler autour de sa personne, il faudrait être sourd pour ne pas entendre une belle singularité dans la musique de Nicolas Paugam. Celle d’un homme que l’on imagine loin des villes qui pose un regard mi-amusé, mi-critique sur les petits travers de notre société sans une once de méchanceté ni une caricature trop brouillonne. que ce soient Les Barbus ou La Complainte Du Titanic, il interroge l’air de rien notre rapport au dérisoire, au futile.
Avec une légèreté qui confine à la sagesse, Nicolas Paugam pose un regard singulier sur les autres, ces inconnus pour lui qui vit sur une petite planète qui ressemble un peu à la notre, une espèce de monde parallèle, de positif à notre négatif, trimbalant son étrangeté et son originalité au milieu d’une grisaille que l’on ne voudrait pas contagieuse. L’hédonisme de l’isolement, loin des foules comme une promesse de retour à soi (ou à la terre) ne se refuse pas surtout quand elle est proposée avec cette belle éloquence.
« Il faut cultiver son jardin » disait l’ancien. Nicolas Paugam, lui, cultive son potager avec la méticulosité d’un jardinier des quatre jeudis, ses fruits sont goûteux et savoureux, appétissants et longs en bouche.
Greg Bod