Nicolas Paugam sort son quatrième album, Le Ventre Et L’Estomac. Profitons de cette actualité pour trouver quelques clés à son univers drolatique en piochant avec lui parmi les disques qui l’ont enthousiasmé mais aussi forgé sans aucun doute.
Qu’on se le dise, Nicolas Paugam nous propose peut-être l’un des univers les plus singuliers que l’on peut trouver sur le territoire musical français du moment. un 5+5 avec un artiste comme lui ressemble en tous points à une forme de décodage ou d’ouverture d’une porte à un univers foisonnant. Entre fixation brésilienne, amour du folk ou sens de la régression en mode Gotainer, Nicolas Paugam nous donne quelques clés pour entrer dans son monde. Un 5+5 qui ressemble à son auteur, on y croisera le Québec, Bernard Estardy, Geoff Emerick ou un éloge de la charcuterie labellisée artisanale.
5 disques du moment :
Richard Gotainer – Saperlipopette
https://www.youtube.com/watch?v=sWJ36_9kcCc&list=OLAK5uy_m8pJu2Mu4s8yp4dlW65l1Kw_byAw19rcU
Je me souviens de ses tubes anciens, Décalcomanie, Le Youki ou encore la chanson sur les colonies de vacances dont j’ai oublié le nom mais je ne croyais pas le génie des alpages capable de revenir avec un nouvel album pour « adultes-enfants » aussi délicieusement troussé. Voici donc Saperlipopette qu’il vous faut écouter urgemment, ou l’on retrouve notre hôte tour à tour Roi Soleil, tenancier de Bistrot dans le Creuse profonde (ou est-ce la Lozère ?) puis retraité pépère conduisant son camping-car avec sa Ginette sur les routes de Normandie. Les arrangements et le choix des sons sont magistraux, confirmant le savoir-faire du king (de la musique publicitaire ) pour scotcher Le Mouton en moins de 20 secondes. Les clips sont au moins aussi géniaux que les chansons, truculents, vulgairement classes, drôles et sarcastiques. Dans sa boutique popularo-royalisto-zoologique, on ne se prend jamais au sérieux et ça fait du bien ! Bravo maître et vive le roi (des cons comme disait Brassens).
Daniel Bélanger – Paloma
https://www.youtube.com/watch?v=bi18pW8EfnA&list=OLAK5uy_ligPCetUWxGMVS8rSacYory2CFu2BLE6c
J’ai découvert Daniel Bélanger il y a moins de deux ans en écoutant Pierre Lapointe en parler. J’ai flashé instantanément sur ses chansons et donc acheté un certain nombre de disques que j’ai ensuite dispatchés à droite et à gauche, de fait je n’en ai plus ! C’est un artiste presque inconnu en France et c’est bien dommage car il est au Québec l’équivalent de notre Dominique A ici ! Une magnifique voix puissante avec un beau vibrato au service de compositions aux ritournelles imparables avec une vraie poésie des mots dans le sens de Jacques Prévert, c’est à dire « quand un mot rencontre un autre pour la première fois« -, on sent le personnage angoissé car il ne parle que de lui, je je je je…. Dans cet exercice égocentrique, c’est le seul que j’arrive à supporter. Hypocondriaque de l’extrême « je suis fatigué d’être fatigué » . Paloma est le 11ème album du bonhomme et dans ce disque il y a au moins trois perles Tout viendra s’effacer, l’ère de glace et il y a tant à faire. Daniel Bélanger mériterait de sortir en France un Best-of avec ses plus belles chansons et croyez-moi ça mettrait tout le monde d’accord. Je ne résiste pas à cette Collision.
Louis-Jean Cormier – Les Grandes Artères
https://www.youtube.com/watch?v=WMufjWiaLI4&list=OLAK5uy_kocnafBeSrKuXj6MfvK0KGB0Khj-LGYWw
Louis-jean Cormier est un autre talentueux québécois. De lui je ne connais que ce dernier disque que je ne retrouve plus d’ailleurs, j’ai dû l’offrir (Rires). Musique ciselée hyper bien arrangée avec sections de cuivres, chœurs, banjo et plein d’autres guitares bizarres. La voix est splendide, haut perchée avec cet accent québécois point trop prononcé qui rend l’ensemble agréable à nos oreilles françaises. Les textes sont poétiques et si je ne les écoute pas toujours avec l’application des oreilles féminines, j’en saisis la beauté et la grâce. Je garde tout dans ce disque et ça c’est merveilleux …merci Louis-jean Cormier de nous rappeler qu’il est encore possible de faire des disques Best-of en 2019.J’ai écouté d’autres canadiens en boucle : Embarques-tu de Daniel Boucher, Dans mon corps de jeune fille par Les Trois Accords« , et Je suis parti de Jean Leloup.
Maud Octallin – Sainte-Saucisse
https://www.youtube.com/watch?v=GZsh61ir494&list=OLAK5uy_l8f1u6ochGUNMjuOpxfIY2ZHCeFMTIVUk
Concept album sur le grill quand d’autres jouaient sur le fil. Album de cliquetis et de cliquetis, comme si un vieux métier à tisser mécanique aux chevilles en bois s’était mis à produire des mélodies sinueuses comme un grand huit. L’auto-maud l’automate nous emporte de rondelles en rondelles, de cochons en cochons dans des chansons-contes régionalistes à souhait (saucisses de Meaux, Aligot du Cantal, andouillette de Troyes, fin gras du Mézenc) tour à tour moyenâgeuses ou modernes. Album de bouche (Kate) par le chant, la grâce et ce piano virtuose.
Album de chœurs par la richesse de ses arrangements vocaux car biberonnés au traiteur Diterzi – Je parle de Tableau de chasse bien sûr. Voyez-vous, dans mon Ardèche, les chasseurs nomment cochons les sangliers comme un heureux présage du tube à venir… car c’est peut-être ce qui manque à ce disque, un tube. Il manque d’ailleurs toujours un tube. On manque de tube. Composez-nous un tube avec votre auto-Maud cher Maud…Ne vous arrêtez pas au rayon foie gras, allons ! (canard)…Tu « veaux » bien mieux encore (tutoiement de circonstance ) ! Album de mots comme dans Maud ou moto. Album fin gras pour l’imporc-exporc, label rouge !
Seu Jorge – Live 2012
https://www.youtube.com/watch?v=0-cU3ykGnDA&list=PLZK_a806QifI8Ai96M7SznCP8WrFL3yw1
Entouré d’une armée de tueurs qui jouent parfois un peu jazz-rock mais on s’en fout, Seu Jorge nous régale de sa voix chaude, grave et profonde . Enchainant les tubes comme Carolina ou Burgesinha, le groupe swingue sévère et la foule brésilienne présente ne s’en laisse pas conter qui danse allègrement dans la chaleur tropicale. Le son de ce live est stupéfiant, mettre le volume sur 12 et se projeter illico au pays de la musique adorée !
5 disques pour toujours :
Zélia Barbosa – Brazil: Songs Of Protest (Sertão & Favelas)
https://www.youtube.com/watch?v=O039HryLHMk&list=OLAK5uy_kB2eEQ1HtCA7TinQJx1GzvT6JMqR6_mjs
C’est très compliqué pour moi de choisir dans la mine d’or brésilienne un disque ; ce serait comme de piocher au hasard dans mes 100 disques cultes anglophones ou mes 100 disques cultes francophones…tout est bon ou presque ! J’ai donc choisi une chanteuse un peu moins connue que les légendes telles que Jorge Ben, Minton Nascimento, Tom Zé ou encore Chico Buarque. Zélia a peu enregistré et c’est bien dommage car son album ci-dessus cité est une merveille de dépouillement, de grâce et de sauvagerie. Les morceaux sont courts, sans artifices, sans effets, sans arrangements et s’arrêtent sèchement mais c’est du plus bel effet comme dans les rêves ! Dick Annegarn s’en est d’ailleurs sans doute inspiré pour C’est dans les rêves que l’on retrouve sur son album de 1997, Approche-toi.
Ce qui sublime l’ensemble, c’est la voix de Zélia. Pour moi nous sommes en présence d’un animal sauvage sorti tout droit de la forêt tropicale, du Nordeste et du Sertao qui, comme Lady Day ou Amy Whinehouse, donne l’impression que c’est le chant qui choisit son terrain et non l’inverse . Ce disque est unique, surement enregistré en studio mais en situation de « direct ». Les musiciens jouent admirablement, batterie magnifique et toujours ces guitares sèches séchées au soleil de Baya qui rythment de leurs claves samba la fête vaudoue. Voir aussi pour la sécheresse ultime la guitare de Carlota dans Préciso Me Encontrar. Un pur chef d’œuvre.
Tim Hardin – 3 Live in concert (Live at town hall / New york City 1968)
https://www.youtube.com/watch?v=hNxOU1u1OeM&list=OLAK5uy_lnqAXJUw20fVj7pq_JaCAxhKWsT78rgNM
J’ai acheté ce disque un peu par hasard sur le conseil d’un ami le même jour que le merveilleux 6 titres de Palace Songs . Des jours comme celui-là j’en redemande. Disque unique porté par la voix bouleversante de Tim Hardin et de ce qui se fait de mieux en matière de musiciens. J’ai nommé les musiciens de Jazz car dans l’ordre d’arrivée, rappelons la formule magique : en un le blues, en deux le jazz et en trois le rock. Entre 55 et 70 la plupart des batteurs de l’hémisphère nord sont avant tout des jazzmen, ce qui explique la musicalité incroyable des enregistrements de cette époque . Voici la section rythmique de rêve composée ici d’ Eddie Gomez à la contrebasse, de Mike Maineri au vibraphone et de Donald « beautifull » Mac Donald à la batterie en train d’accompagner un chanteur de folk héroïnomane (donc bien perché) dans un répertoire mi-folk mi-country d’où surgit cette merveille des merveilles qu’est Song for Lenny Bruce, que Tim a écrit en hommage à cet humoriste américain, sarcastique , communiste…….et qui vient alors de mourir en 66 à l’âge de 40 ans. Disque bouleversant de bout en bout tant le mélange de genre est subtil, tant l’écoute entre musiciens est forte. Ecoutez aussi le casting dans Astral Weeks de Van Morrison. Quand le Jazz sert la chanson !
The La’s – The La’s
https://www.youtube.com/watch?v=4zmkwsxPLwA
Ce groupe ne ressemble à aucun autre groupe. La voix de Lee Mavers dans son registre grave-blues-éraillé domine l’édifice, ça balance de bout en bout sauf peut-être sur leur tube There she goes qui pour moi est la chanson la plus faible du disque. Encore un consultant en tube qui a dû donner son avis et l’imposer. J’aimerai bien avoir la version de Lee Mavers au passage, lui qui détestait le son de son disque, aurait-il choisi There she goes ? Quoiqu’en pense Mavers, ce disque est magistral, il y a une interaction rythmique-mélodique-sonique que je ne retrouve nulle part ailleurs, le son de caisse claire dit « lapin mort » est affolant, les parties de guitares sèches ou électriques jouent horizontalement la mélodie, il y a peu de notes mais ce sont les bonnes, j’avancerai même les seules ! On attend toujours un petit frère à ce seul album. J’ai pleuré quand j’ai appris la mort de Mark Hollis car je le croyais au travail…Les La’s de Liverpool me feront t’ils le même coup de Trafalgar ?
Bob Dylan – The freewheelin + Hard Rain live 76
https://www.youtube.com/watch?v=sPbfJAIugIQ&list=PLNDXDJtQAOamjQDBdbe1WEHLCQcu6CDul
Je ne peux pas partir sur l’île sans Bobby. J’ai commencé à écouter ce disque très très jeune et il ne m’a jamais plus quitté. Petit, à la maison, il y avait 4 disques : Harvest de Neil Young, Alan Stivell A L’Olympia, le Freewheelin de Dylan et un disque de flûte de pan péruvienne. Légèrement névrosé à ce qu’on me rapporte, je m’apaisais à l’écoute de la voix de Dylan et ses blues lancinants tels que Master of war ou Blowin in the wind. Plus tard et en analysant , je me suis rendu compte que ce disque avait « VRAIMENT » – au sens « technique« – un son incroyable car enregistré par Columbia sur les mythiques tables de mixage 4 pistes à lampes, celles-là mêmes qui faisaient dire à Georges Harrison quelques années plus tard à l’écoute de ses enregistrements de guitare sur la toute nouvelle table 8 pistes ( et donc la remplaçante de cette fameuse 4 pistes ) « je ne reconnais plus le son de ma guitare » ( dixit le magnifique livre de feu Geoff Emerick En studio avec les Beatles.
On se plaint du son d’aujourd’hui mais ça ne date pas d’hier !
Quoiqu’il en soit et pour revenir à notre prophète, je ne peux que vous conseiller le live de 76 Hard rain où on le voit magistral à tous les niveaux (en duo avec Joan Baez,en groupe avec ses tueurs à gage). Le phrasé, les textes, le sens du rythme, les richesses harmoniques, les ritournelles, l’énergie du maître des lieux sont uniques… ainsi que les silences qu’il organise dans tout ça !! Voir Nick Drake ou Leonard Cohen….
Gérard Manset – La Mort D’Orion
https://www.youtube.com/watch?v=8mml0lUcyWo
Avec Manset, c’est pas compliqué : on aime ou on n’aime pas. Voix singulière, textes déroutants, harmonies complexes, richesses des arrangements avec contre-chants et contre-points qui ne sont pas sans rappeler ceux des disque brésiliens époque MPB ( musique populaire brésilienne) comme le Club de Esquina de Milton Nascimento et Lo Borges par exemple; multiples effets réverbérés à souhait , expérimentations ad libitum dans les studios CBE avec le légendaire ingénieur du son Bernard Estardy appelé aussi « Le Géant » ou le « Baron« . Ou quand deux hyper-doués se rencontrent pour donner naissance à un disque d’une grave beauté. Je vous conseillerai donc l’intégralité des disques de Manset aujourd’hui introuvable en CD !!!
Et d’ailleurs pour en finir avec le diktat des îles désertes, je viens d’inventer pour le périple de vendredi, avec mes amis Yamaha et Korg un disque vinyle de 129h53 qui me permet de trimbaler à Koh-lanta tout Ferré, tout Manset, tout Brassens plus l’intégrale de la MPB, des Beatles, de Robert Wyatt, de Django Reinhardt, de Louis Prima plus des pelles et des bidons…plus une poule !